Morgan Sportès

L’AVEU DE TOI A MOI ( FAYARD Janvier 2010)

Dernier ajout : lundi 22 mars 2010.

Morgan Sportès « Sartre était un con utile » 16/12/2009 Actus personnelles paru dans Service littéraire Par Emmanuelle de Boysson et Anthony Palou. Ecrits et chuchotements Le nain de Jardin, par Anthony Palou

Morgan Sportès est un écrivain à part. Proche de Guy Debord, la langue de bois n’est pas sa tasse de thé. A l’occasion de la sortie d’Un aveu de toi à moi, (Fayard), nous avons rencontré l’auteur, entre autres, de L’appât, (Seuil) et d’Ils ont tué Pierre Overney (Grasset). Son roman est la rencontre entre un jeune journaliste à Police magazine, étudiant à Paris VII et Rubi, le père de sa petite amie, qui lui raconte son parcours atypique. En 1936, Rubi est partisan des républicains espagnols, avant de s’enrôler dans la résistance, puis au STO, avant la SS. Il déserte ; rattrapé, il subit une parodie d’exécution. Incarcéré à Dachau-Allach, il renfile l’uniforme SS... A travers ce destin d’un paumé, Sportès nous offre une réflexion brillante sur la complexité de l’histoire et la puissance des idéologies sur les faibles. Dans Maos (Grasset), déjà, il stigmatisait nos intellectuels soixante-huitards stipendiés par la CIA. C’est peu dire si, à Saint-Germain-des-Prés, il est marginalisé.

Tout est vrai ? Qui est Rubi ?

Morgan Sportès : Oui, ce livre est une reconstruction, mais je ne peux révéler son nom. Il est mort en 1994. Dans les années 50, il a publié chez Julliard un récit de sa vie travesti sous les défroques de l’époque napoléonienne.

Etes-vous ce jeune homme de vingt ans, le narrateur ?

M. P. : Oui, mais je donne le point de vue de l’étudiant que j’étais et qui ne connaît pas bien l’histoire de la seconde Guerre mondiale ; il est loin de se douter des magouilles entre Laval et Darlan. Je retrouve Rubi à 40 ans, il en a 60 ; je l’enregistre et j’écris le livre qu’il n’a pas pu mettre en forme. Ce qui est intéressant, c’est qu’il ne fait que des conneries, il se met dans des situations désespérées. Chaque fois qu’il est devant le mur de la mort, son instinct animal l’aide à s’en sortir. Sa désertion et Dachau lui sauvent la vie, c’est ça le paradoxe ! Il a l’intelligence de la lâcheté, comme Bardamu dans Le voyage au bout de la nuit. A quelques jours de la libération, il se réengage dans la Waffen SS ; c’est tragi-comique.

Qu’avez-vous voulu montrer ?

M. S. : Que lorsque l’histoire est vécue individuellement, on est dans l’incohérence. Il est facile, quarante ans plus tard, de la réécrire ; sur le coup, on n’y comprend rien.

Y a-t-il des points communs entre votre héros et celui des Bienveillantes ?

M. S. : Celui des Bienveillantes n’est pas crédible. Il sort d’une back-room homo de San Francisco. Littell pille la doc, Kafka et Dostoïevski. Rubi est réel, plus complexe, pas une figure de rhétorique. Un homme pris dans des jeux de pouvoir.

Comme les gauchistes dans Maos ?

M. S. : Exactement. Mai 68 n’a fait que participer à l’ultra libéralisme. La presse américaine se réjouissait que Cohn-bendit et les autres s’attaquent à de Gaulle qui remettait en cause le dollar. Dans ce jeu, Sartre était un con utile. J’ai lu les mémoires d’un agent des services secrets hollandais qui a crée un parti maoïste. Les tracts étaient imprimés à la préfecture de police. Quand vous dites ça sur France culture, on vous traite de parano, de conspirationiste. Lorsque j’ai dit, dans une émission de Giesbert, à Kouchner : « Vous avez fumé le havane par les deux bouts : hier, avec Castro, aujourd’hui, avec Bush, vous n’êtes qu’un caniche de garde des Américains », il a hurlé : « Je n’ai pas été castriste ! ». Dans Qui mène la danse ? La CIA et la Guerre froide culturelle, Frances Stonor Saunders (Denoël), raconte comment les Américains ont soutenu des artistes de gauche, comme Jackson Pollock, contre des communistes, comme Picasso. Les nouveaux philosophes sont la queue de la comète de la guerre froide.

Vous aimez souligner la complexité des situations...

M. S. : Ca dérange tout le monde. J’incarne la complexité du monde : mon père est un juif portugais d’Algérie, ma mère, une bretonne catholique tombée dans le délire paranoïaque antisémite. Elle me traitait de sale petit juif, mais elle m’aimait quand même.

Vous ne mâchez pas vos mots sur les structuralo maoïstes...

M. S. : A Paris VII, on me traitait de réac parce que je lisais Chateaubriand et Balzac. Trente ans plus tard, ceux qui avaient été formés par Barthes étaient devenus critiques littéraires au Monde et à Libé ! D’après Sollers, le maoïsme serait une plaisanterie : pas en Chine ! Des millions de morts. Tous ces gens du Nouveau Roman et de Tel Quel étaient des réacs, ce sont les mêmes qui disaient en 68 : de Gaulle- SS. Des cons.

Que pensez-vous de la rentrée littéraire ?

M. S. : Dans un de ses premiers livres, sans ponctuation, Marie Ndiaye avait voulu faire du Joyce. Sollers lui a dit : « Avouez que vous m’avez copié ». Beigbeder est mignon quand il écrit que l’amour dure trois ans, c’est de son niveau. La seule aventure qu’il a eue, c’est d’être arrêté. Le livre est devenu une carte de visite pour passer à la télé. On est dans la société du spectacle.

Les livres qui vous ont marqués ?

M. S. : Proust, Céline, Malaparte, La littérature picaresque espagnole. Garcia Marquez. Tanizaki et Kawabata : il y a chez eux une telle profondeur d’ironie humaine