Morgan Sportès

"Les Maos sans faux cols" (Marianne du 12/4/2008) , critique : "Ils ont tué Pierre Overney"

vendredi 18 avril 2008.

Les maos sans faux cols

Par Benoît Duteurtre 12/4/08

Morgan Sportès montre quel fossé sépare les chefs intellos des vrais prolétaires.

En 1971, Jean-Paul Sartre, juché sur un tonneau à Boulogne-Billancourt, appelle les masses à se soulever contre la violence bourgeoise. Il s’est rallié à la Gauche prolétarienne qui veut relancer la révolution sous la bannière de Staline et de Mao. De son côté, André Glucksmann dénonce le « fascisme » du gouvernement, tandis que la perspective d’un pouvoir communiste « dictatorial et même sanglant » n’inquiète pas du tout Michel Foucault... En écrivant cette enquête sur le meurtre de Pierre Overney (militant de la GP tué par un vigile de Renault), Morgan Sportès ne rappelle pas seulement les folies d’un mouvement radical, immortalisé par un attentat foireux contre l’épicerie Fauchon. Après avoir rencontré nombre de figures de cette épopée maoïste, il montre surtout quel fossé sépare les chefs intellos (autour de Pierre Victor, alias Benny Lévy) des vrais prolétaires qui rejoignent le mouvement. Comme dira l’un de ces derniers : « A la Gauche prolétarienne, on transformait les ouvriers en singes savants qui récitent le Petit Livre rouge. On cherchait à en faire des brutes qui cassent du contremaître. » Pierre Overney est l’un de ces ouvriers, excité par ses camarades contre la police, et davantage encore contre la CGT, toute-puissante dans la classe ouvrière. Infiltrés par les Renseignements généraux, les maos se déploient dans les usines. Sont-ils là pour briser l’alliance objective du gaullisme et du communisme qui maintient la France aussi loin de l’Amérique que de l’URSS ? Ils bénéficient d’une étrange mansuétude de la part des socialistes - qui récupéreront quelques-uns d’entre eux, comme Alain Geismar, après 1981. L’évolution des protagonistes est également parlante : « Nombre de maos intellos changeront leur fusil d’épaule au milieu des années 70, abandonnant le culte du Grand Timonier pour celui des Etats-Unis... Tel Colomb qui cherchait la Chine en voyageant vers l’ouest, ils ont fini par découvrir l’Amérique. » Les prolos, eux, resteront prolos, abandonnés par les camarades bourgeois, avec le sentiment de leur avoir servi de « tirailleurs sénégalais ».

Benoît Duteurtre

Ils ont tué Pierre Overney, de Morgan Sportès, Grasset, 395 p., 20,90 €.


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