Morgan Sportès

Une extrême gauche très maladroite, article du Paris-Match, 4/4/2008, par Gérard Miller

vendredi 11 avril 2008.

UNE EXTRÊME GAUCHE TRES MALADROITE !

PAR GERARD MILLER 04/04/08

En 1972, l’assassinat de Pierre Overney lui permit de faire une démonstration de force. Mais ce fut la dernière ! Gérard Miller a lu le livre de Morgan Sportès qui revient sur ces jours qui firent trembler le pouvoir.

Je l’avoue, c’est avec de fortes préventions que j’ai commencé la lecture de « Ils ont tué Pierre Overney ». De Morgan Sportès, j’avais lu le précédent livre, « Maos », et cette histoire ubuesque d’un militant rangé des voitures, que son passé vient rattraper et qui découvre au final n’avoir été qu’un pantin, m’avait semblé aussi laborieuse que la traversée du fleuve Yangtsé par Mao en 1966. Eh bien, cette fois-ci, j’ai été scotché du début jusqu’à la fin : sur cette épopée gauchiste que j’ai vécue de près comme membre de la Gauche prolétarienne, le fait est que je n’ai rien lu d’équivalent. Partir de Pierre Overney pour rendre compte des « maos », c’était la bonne idée. Car Pierrot, comme tout le monde l’appelait, est la figure emblématique du mouvement maoïste, de sa grandeur comme de sa décadence. Grandeur, oui, et Morgan Sportès le montre, même s’il n’a guère de sympathie pour ledit mouvement, parce qu’il y avait dans la courte vie et la révolte endiablée de ce jeune ouvrier une véritable noblesse, une probité et un sens de la justice qui faisaient écho à ce qu’il y avait de meilleur chez les maoïstes français. Décadence aussi, parce que son assassinat aux portes des usines Renault eut lieu au moment même où les maoïstes commençaient à perdre littéralement la boule, s’enfonçant dans un ouvriérisme pathétique et risquant à leur tour de commettre, comme les gauchistes italiens ou allemands, l’irréparable. La mort d’Overney a stoppé net tout celà. Elle a produit ce qu’on appelle en psychanalyse un « effet de vérité ». C’est simple, la grande majorité d’entre nous s’est dit qu’elle ne voulait pas du pire. Et le pire, c’était de ressembler à ceux que nous combattions, à l’assassin de Pierrot, membre du service d’ordre de Renault, si sûr de son bon droit de garde-chiourmes qu’il s’était autorisé à venir armé à son boulot, puis à tuer de sang-froid. Le pire, c’était la « haine de classe » plus forte que tout, plus forte que le droit, plus forte que la vérité. Le pire, c’était, au nom de la Palestine martyrisée, la tuerie des athlètes israéliens à Munich. Pour faire comprendre à quel point cette balle tirée le 25 février 1972 en plein coeur d’un jeune homme de 24 ans a fait tragiquement mouche, Morgan Sportès a mené une impressionnante enquête, faisant parler ceux qui, jusque-là, n’avaient guère été interrogés. II faut lire le récit de ces ouvriers qui racontent ce qu’étaient à l’époque la dureté de l’usine, la brutalité des milices patronales, l’arrogance d’une société où les gaullistes se croyaient au pouvoir pour l’éternité. Il faut entendre la voix de ces militants de base expliquant ce qui les enthousiasmait alors dans les discours enflammés des maoïstes, dans leur démesure et leur fureur. Tous les propos rapportés sonnent incroyablement justes. Y compris ceux des syndicalistes de la CGT, habitués à se partager tranquillement le pouvoir avec le patronat et qui n’en reviennent toujours pas, près de quarante ans plus tard, d’avoir été la cible privilégiée des enragés. Evidemment, certains faits sont oubliés (ce sont les communistes et la CGT, par exemple, qui, les premiers, ont manié la barre de fer contre les gauchistes), d’autres travestis (ni Jean-Paul Sartre ni Maurice Clavel n’eurent sur les maoïstes l’influence qui leur est ici prêtée), mais peu importe : Morgan Sportès a retrouvé le ton d’une époque rendu palpables les enjeux aussi bien que les amertumes. Ses personnages sont de chair et de sang, on les sent vivre, on les voit se battre et, à l’occasion, au comble du désespoir, frapper la voûte du ciel avec leurs poings. C’est d’ailleurs pourquoi Sportès aurait pu laisser au vestiaire sa vision « complotiste » du monde. L’un des principaux leaders de la Gauche prolétarienne, un ex-mineur du Nord, était un indic des RG - c’est déjà à se tordre, inutile d’en rajouter ! Pourquoi laisser croire, sans preuve aucune, à l’existence d’un grand manipulateur caché ? Chez les maos, au contraire, du simple militant au dirigeant suprême, chacun a été et la marionnette et le marionnettiste - c’est toute notre histoire.

Gérard Miller, psychanalyste et professeur à l’université Paris 8, est chroniquer à France 2 et sur Europe 1.

« Ils ont tué Pierre Overney », de Morgan Sportès, éd. Grasset, 400 pages, 20.90euros.


Forum

  • Une extrême gauche très maladroite, article du Paris-Match, 4/4/2008, par Gérard Miller
    27 avril 2008, par Qqun qui a bien ri en matant Sportès et Nabe à Apostrophe !
    Décidément, Miller est toujours autant à côté de la plaque. J’suis trop jeune pour avoir connu l’époque maoïste, du moins pour l’avoir vécue autrement qu’en tant que nourrisson. Mais, lors que Miller dit que Sportès aurait pu se garder d’une vision complotiste du monde, pour ajouter qu’un leader de la gauche était un indic des RG, et que cela était déjà suffisamment grotesque en soi... c’est le refus même de l’évidence qui s’empare du petit Gérard ! N’ayant pas lu le livre en question, je ne peux juger dans le détail mais, lorsqu’une gauche prétendant lutter contre le peuple est en fait infiltrée au plus haut niveau par les renseignements généraux, forcément cela tend à conduire à une vision "complotiste" ! D’autant plus lorsque, quelques années plus tard, William Colby, à la retraite de son poste de N°1 de la CIA, reconnaît dans ses mémoires que l’agence à laquelle il a appartenu a financé, depuis les années 50, des réseaux dits "stay behind" au sein de l’OTAN, dont l’objectif non avoué (tout comme l’existence même de ces cellules) était de lutter contre la gauche, y compris par le terrorisme, en accusant systématiquement l’extrême gauche des attentats perpétrés...