Morgan Sportès

TOUT, TOUT DE SUITE par PIERRE ASSOULINE, ou L’INSULTEUR DEVENU L’INSULTE, (15/9/2017)

vendredi 15 septembre 2017.

15 septembre 2011 TOUT,TOUT DE SUITE par PIERRE ASSOULINE.

Le 10 octobre 2011, juste avant la dernière sélection du prix Goncourt (mon livre TOUT,TOUT DE SUITE était alors dans la course) a paru un article insultant à mon égard, signé Pierre Assouline. Cet article a été récemment retiré de son « blog ». Pour information, je le publie donc aujourd’hui sur mon site. A l’époque je m’étais bien gardé d’y répondre, le succès de mon livre me semblant une réponse suffisante. Au demeurant, pour la petite histoire de la « cuisine littéraire » j’ajoute ici, à la suite de cet article, quelques commentaires qui en dénoncent les falsifications. M.S.

Blog de Pierre Assouline : Un conte de faits selon Morgan Sportès, le 19/10/2011

Toujours prêter attention au libellé d’une dédicace lorsque l’auteur a pris soin de ne pas se limiter à l’envoi de ses espèces d’amitiés. Ainsi celle de Tout, tout de suite (378 pages, 20,90 euros, Fayard), le roman de Morgan Sportès : « ... ce petit essai « clinique » sur la marche de nos sociétés... » Voilà qui annonce le programme aussi bien si ce n’est mieux que les épigraphes signées Jaime Semprun et Jacek Kuron. Même si le titre est trompeur car il est tiré de "Obtenir tout, tout de suite", fameux slogan gauchiste de 1968 lancé dès ses débuts par le Mouvement du 22 mars. On connaît déjà l’histoire, son déroulement et son dénouement : pour l’ignorer, il faudrait ne pas avoir lu les journaux, ni écouté la radio ou allumé la télévision en France pendant des semaines au début 2006, et à nouveau d’avril à juillet 2009 au moment du procès. Il s’agit de l’affaire Illan Halimi, du nom de ce jeune vendeur de téléphones portables à Paris, kidnappé, séquestré, battu, affamé et torturé à mort trois semaines durant dans une cave d’une cité HLM de Bagneux (Hauts-de-Seine) par une bande dite « gang des barbares » qui espérait le libérer contre une rançon (environ 500 000 euros) au motif que sa famille était nécessairement riche puisqu’elle était manifestement juive. Seuls les noms et prénoms ont été modifiés mais ils sont si transparents qu’ils permettent une identification immédiate (« Elie » pour Illan, « Yacef » pour Youssouf Fofana, le chef) à toutes les pages de ce « conte de faits ». Il se déroule entre des barres sises dans des rues qui portent les noms de Pablo Neruda ou de Maïakovski, mais c’est bien là l’unique incursion de la poésie en ces lieux ; dans le bois alentour, même les arbres sont bariolés de tags. L’auteur, qui s’abrite volontiers sous le parapluie de Truman Capote (et pas celui de Petit-déjeuner chez Tiffany, évidemment !), aimerait qu’on le lise comme une fiction sur la logique à l’œuvre dans nos sociétés ébranlées par la mondialisation, et plus particulièrement dans l’âme sauvage d’une micro-société qui se repasse en boucle le Scarface de Brian de Palma, héroïsant le personnage d’Al Pacino jusqu’à en oublier le nombre de morts qu’il a sur la conscience. Sportès semble si soucieux d’universaliser son propos, à défaut de l’existentialiser, en l’axant autour d’une méditation sur le Mal que, si l’antisémitisme n’en est pas vraiment évacué, c’est tout comme ; à croire qu’il était somme toute secondaire ; il en est éclipsé par le vrai sujet du livre, qui en cela prolonge par d’autres moyens Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte, celui de Thierry Jonquet : la banlieue. Du moins une certaine banlieue considérée comme une zone de non-droit obéissant à d’autres règles, lois, mœurs et codes que le reste de la France. Sportès réussit à trouver des circonstances atténuantes à l’antisémitisme de Yacef, c’est à dire Fofana (que ses juges ont tenu pour une circonstance aggravante) dont le cerveau marine dans une confusion où se mêlent foi musulmane, finance obsidionale et politique du café du commerce : « Le « Juif », incarnant à ses yeux le Capital, devient symbole du monde qui l’oppresse. C’est qu’il n’a pas les instruments intellectuels qui lui permettraient de comprendre ce qui, dans le monde spectaculaire qui est le nôtre, l’opprime en effet » écrit Morgan Sportès. Il récuse le terme de « barbare » pour les qualifier. Non seulement il y voit une invention des médias ou de la police (il nous semble pourtant nous souvenir que le gang s’était lui-même fièrement baptisé de la sorte, à la suite de Fofana qui se déclarait « barbare, enfant des cités ») mais il se retranche derrière sa signification première : aux yeux des Grecs, le Barbare, c’était l’étranger, celui qui ne parlait pas leur langue, ou la parlait en l’écorchant, avant d’être pour les Romains celui vivait au delà du limes ; or les membres de cette bande sont tous des Français nés en France, dont plusieurs mineurs, à une seule exception ; et sur les vingt cinq personnes arrêtées, huit sont des catholiques convertis à l’islam. Ce qui pourrait donner matière à un début d’analyse, sur le rapport à la langue justement, mais non, rien ne vient. Le récit est nerveux, prenant, enlevé, précis jusqu’à la maniaquerie -et après ? Le constat est trop froid, dénué de sens critique, malgré une citation de Nietzsche au début, selon laquelle il n’y a pas de faits, que des interprétations ; la narration, assez chronologique, n’épouse aucun parti pris formel. Sportès est mieux à son affaire lorsqu’il quitte le domaine du gangstérisme pour nous faire entrer dans « l’infernale machinerie relevant des transferts psychiatriques », trop brièvement hélas ; de plus, je dois avouer que la médiocrité absolue de ses personnages, le fait qu’il n’y ait rien à sauver chez eux, du moins tels qu’on nous les présente, m’a conduit à ne trouver d’intérêt à cette lecture que dans sa langue, concentré de ce qu’on peut entendre de pire dans l’inutile et prétentieuse torture du français. Une pratique qui se prête à tous les dévoiements de sens, à commencer par celui de « respect », un comble. Il serait vain d’en dresser la nomenclature tant elle a débordé hors du champ où elle est née. Même les portes s’y font traiter d’ « enlécues » ! alors on imagine les personnes, surtout les "taspées", les "feujs" et les "Gaulois jambon-beurre 100% céfran". Passons sur l’évident désir de cinéma de l’auteur qu’exprime l’aspect « prêt à filmer » de son roman (on relève déjà les projets de cinq réalisateurs et producteurs rivaux sur cette affaire, pire que La Guerre des boutons !). Un narrateur doit-il renoncer à sa propre voix pour épouser celle de ses héros ? Là est la question, et l’autre malaise qui se dégage de Tout, tout de suite. A croire que Sportès s’est si bien embedded au cours de son enquête et de ses repérages sur le terrain qu’il n’a pas su (voulu ?) conserver son propre style. Ce qui est particulièrement regrettable dans une histoire où la parlerie primaire est la règle. Dommage car cela lui aurait permis de conserver par rapport à l’objet de son tourment cette distance qui lui manque. Le livre se clôt sur un autre type d’énigme, certes anecdotique mais il ne faut jamais négliger les paratextes, sait-on jamais : l’auteur y remercie Deltatrade international pour son appui. Mais en quoi et qu’est-ce au juste ? Chimie minérale ? Bœuf et porc à destination de la Russie ? Boucherie en gros et demi-gros ? Après enquête, on ne voit pas le rapport, même à Bagneux. (Photos Passou et Paolo Pellegrin

COMMENTAIRES SUR L’ARTICLE DU BLOGUEUR PIERRE ASSOULINE :

Refusant la polémique, et fort satisfait de l’accueil plus que positif de mon livre Tout, Tout de suite, en 2011, par nombre de grands intellectuels et par le public, je n’ai pas cherché à répondre à l’article injurieux publié sur son blog par une personne que je ne connaissais ni d’Eve ni d’Adam, Pierre Assouline, le 19 octobre 2011 (juste avant la dernière sélection du Goncourt, mon livre étant dans la course).

Dans la société du spectacle qui est la nôtre, l’insulté devient l’insulteur et la victime le bourreau. Plusieurs points évoqués dans l’article en question, relèvent d’une intention évidente de nuire à ma personne.

1__ En fin d’article, après une enquête faite sur na personne (comme du temps de la STASI ?) l’auteur de l’article me suppose d’obscurs rapports avec le commerce franco-russe de la « chimie minérale » ou de la viande (de bœuf ou de porc, il ne sait pas trop). L’ « enquête » est donc incomplète. Après tout je deale peut-être de l’héroïne ?

2__ L’auteur de l’article, parce que j’utilise l’argot des banlieues dans les dialogues de mon livre, m’accuse de « torturer » la langue française. Eût-il fallu que je fisse causer Youssouf Fofana, chef du gang dit des barbares, dans la langue de madame de Lafayette, avec subjonctifs imparfaits etc ? (il est narvalho ce keum !). J’en appelle aux mânes de Rabelais, de Villon, de Balzac, d’Eugène Sue, de Victor Hugo, de Céline (et de Proust même que fascinaient les langages populaires) !

3__ Quand on a lu les 8000 pages du dossier d’instruction (dont l’auteur de l’article n’a aucune connaissance) il apparait très clairement que jamais les kidnappeurs d’Ilan Halimi ne se sont eux-mêmes « fièrement » baptisés « gang des barbares ». Découvrant dans mon texte que Youssouf Fofana s’est déclaré « barbare, enfant des cités », l’auteur croit pouvoir dire que je mens. Or cette déclaration, Fofana l’a faite un an après son arrestation, lors d’une expertise psychiatrique du 23/6/2007 où il reprend des qualificatifs que lui ont attribués les médias ! Barbares ils le sont, dans le sens où ils sont cruels ; mais ils ne le sont pas dans le sens d’ "étrangers ». Ils sont pour la plupart citoyens de notre pays.

4__ L’auteur de l’article semble me reprocher d’écrire des livres qui sont portés à l’écran (en effet, l’Appât, tiré d’un de mes ouvrages, a été filmé par Bertrand Tavernier et a reçu l’Ours d’or au festival de Berlin en 1995.

5__ La plus grave accusation tient au fait que l’auteur de l’article me trouve des complaisances avec l’antisémitisme : « Si l’antisémitisme n’en est pas vraiment évacué [de mon livre] c’est tout comme ». Et : « Sportès réussit à trouver des circonstances atténuantes à l’antisémitisme de Youssouf Fofana ». Je n’ai dans mon livre rien omis quant au calvaire subi par Ilan Halimi, brûlé vif à 80%. Ni quant aux insultes antisémites qu’il a essuyées de la part de certains membres du « gang ». Je n’y dis rien d’autre que : ces voyous de banlieue ont de bonnes raisons (sociales) de se révolter, mais ils se trompent de cible en visant les juifs. Autrement dit : « l’antisémitisme c’est le socialisme des imbéciles ».

6__ A ce sujet j’ajoute que les circonstances aggravantes d’antisémitisme, prononcées par les juges, ne concernent que Youssouf Fofana et un des jeunes geôliers d’Ilan que j’appelle Kid dans mon livre. Ce qu’ignore l’auteur de l’article (qui ignore tout de cette affaire) c’est que plusieurs membres du gang n’ont pas participé au kidnapping. Ils étaient sur d’autres « coups » L’auteur de l’article s’est attaqué à nombre d’écrivains et intellectuels français fameux. De quoi relèvent ses haines ? Amen.


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