Morgan Sportès

Pour la plus grandfe gloire de dieu

vendredi 18 septembre 2015.

24 décembre 2012 A89. Louis XIV a-t-il voulu "coloniser" le Siam ?

Pour-la-plus-grande-gloire-de-DieuLouis XIV a voulu coloniser le Siam ? In Morgan Sportès, « Pour la plus grande gloire de Dieu »*

Nous nous étions déjà interrogés sur cette volonté de Louis XIV d’avoir voulu coloniser le Siam en cette année 1687 avec l’arrivée de la deuxième ambassade menée par Simon de la Loubère et Claude Céberet du Boullay et le général Desfarges à la tête d’un corps expéditionnaire de 636 officiers et soldats.

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1/ Nous avions émis des doutes sur cette volonté dans un article commentant et critiquant les propos de l’historienne thaïe émérite Mme Pensri Duke, docteur en Sorbonne, relatés dans son livre intitulé : Relations entre la France et la Thaïlande (Siam) au XIXème siècle d’après les archives des affaires étrangères. (Cf. nos relations franco-thaïes 12) **

La lecture du roman de Morgan Sportès « Pour la plus grande gloire de Dieu »*, nous incline à penser que nous nous sommes trompés.

Alain Forest,

FOREST Alain

dans son « Aperçu sur les relations franco-siamoises au temps de Phra Naraï » est d’ailleurs explicite dans son chapitre intitulé « En France, une décision aberrante (mars 1686-mars 1687) ***. Il cite les travaux de Jacq. Hergoualc’h, exhumant la correspondance entre Seignelay et l’intendant de Brest entre autre, qui ne laisse aucun doute sur les motifs militaires et commerciaux de cette « ambassade », et précise bien, qu’outre le motif d’établir la religion catholique au Siam, « le motif principal de l’expédition est cependant l’occupation de Bangkok et Mergui [...] S’il y a refus, Louis XIV « a résolu [...] de faire attaquer Bangkok et de s’en rendre maître à force ouverte. ».

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Mais que d’événements entre l’arrivée de la 2 ème ambassade en septembre 1687 et l’arrivée de l’Oriflamme un an plus tard, en septembre 1688, avec 200 hommes chargés d’incorporer les forces françaises du Siam, avec la promesse que tous les ans d’autres vaisseaux suivraient.

Il y avait là, la volonté française de coloniser, sinon du moins de s’implanter au Siam.

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2/ Revenons à la lecture du roman de Morgan Sportès « Pour la plus grande gloire de Dieu » qui raconte en 5 actes, comment le Siam a failli être colonisé, ou « tomber dans la zone d’influence française ».

Il s’agira pour nous, de relever dans ce roman, ce qui alimente cette thèse, sachant, bien entendu, que le roman peut être lu avec beaucoup plus d’horizons d’attente. On peut suivre les différentes intrigues, les différents points de vue des protagonistes : de La Loubère, de Céberet, du général Desfarges, du jésuite Tachard, du grec Phaulkon Constance, du roi du Siam Naraï, de son général Pitracha, des pères missionnaires et des jésuites, des puissances portugaises, hollandaises, anglaises, françaises, maures ...

Les différentes rivalités et intérêts des uns et des autres, par exemple le combat entre les jésuites et les pères missionnaires, la lutte pour le Pouvoir entre Constance et le général Pitracha, sans oublier les différentes missions de cette ambassade française :

avec les Envoyés extraordinaires, son chef La Loubère, « avec les questions politiques et religieuses » (p. 25), et une étude « sur le roi du Siam et ses voisins, sur les forces militaires terrestres et maritimes, sur les forteresses, sur l’art de la guerre, sur les revenus du souverains et sur « l’étendue de sa puissance » sur ses sujets, sur le mode de gouvernement tant spirituel que politique, sur l’organisation de la société. » ****-un vrai travail d’espion- (p. 390),

La Loubere

Ceberet, « un des douze directeurs de la Compagnie des Indes orientales », chargé de « la mise au point d’un traité de commerce », sans oublier le père jésuite Tachard qui a une mission secrète établie de concert avec le père jésuite de la Chaise, confesseur du roi Louis XIV, et le barcalon, le 1er ministre du roi Naraï, Constance Phaulkon, et une lettre signée par le secrétaire d’Etat à la marine, Seignelay, lui accordant de fait tout pouvoir de négociation (« Le père Tachard, écrivait Seignelay au ministre du Siam, vous expliquera ce que sa majesté désire de vous » ) (p.66).

Et que dire du général Desfarges, le chef militaire de l’expédition, dont on apprend dès le début du roman, qu’il a reçu des consignes précises de messieurs de Seignelay, secrétaire d’Etat à la Marine, et de Croissy, ministre des affaires étrangères (respectivement fils et frère du défunt Colbert) :

les troupes françaises doivent « s’installer aux deux points stratégiques du royaume : Bangkok et Mergui. En cas de refus, ordre était donné d’attaquer Bangkok ». (p.21).

(« Le fort de Bangkok, véritable verrou tenant l’entrée du fleuve Chao-Praya, et le port de Mergui, sur la côte ouest du pays et le golfe du Bengale, voie d’accès idéale au richissime commerce de l’Inde ») (p.18)

siège de bangkok

3/ Un roman peut-il dire la « vérité » ?

Mais nous direz-vous, on ne peut pas prendre pour argent comptant l’intrique d’un roman, et la thèse défendue, si ce n’est que Morgan Sportès dans une interview au Lorient Littéraire par exemple est très explicite :

« Quel que soit mon sujet, je passe toujours énormément de temps à me documenter, à m’en imprégner, à rencontrer les protagonistes, à aller sur les lieux quand bien même ils sont lointains ». [...]

« pour écrire Pour la plus grande gloire de Dieu par exemple, je n’ai pas procédé différemment. J’y ai consacré dix ans. Là, j’ai dû lire les 20 000 pages d’un manuscrit écrit à la plume d’oie afin de comprendre cette tentative de Louis XIV de mettre la main sur le Siam, c’est-à-dire sur l’actuelle Thaïlande »

« Lorsque j’ai découvert ces archives, la surprise a été totale. Le discours était totalement différent de celui des jésuites ; les caricatures et pamphlets y étaient dignes du Canard Enchainé. Je n’aurais jamais pensé rire autant en les lisant. » Après avoir complété ces archives et mis bout à bout des précieux recueils et témoignages, le projet devenait enfin réalisable. « Ces différents mémoires m’ont permis de me rapprocher de la vérité. Dès lors, je pouvais conter avec précision le récit de notre premier Dien Bien Phû. »

Et en effet, il est peu fréquent de voir un roman suivi d’une importante bibliographie de quelque soixante-dix références, où il est dit que les principaux témoignages « apparaissent, çà et là, dans la bouche même de leurs auteurs, par le biais de dialogues des différents personnages mis en scène ; ou sous forme de citations. »

Voilà pour la substance du roman, son pacte de lecture annoncé.

De plus, l’étude de nombreux témoignages de cette époque dont nous avons rendu-compte dans nos « Relations franco-thaïes », nous permettent de confirmer la crédibilité du travail effectué.*****(Cf. en note la référence de quelques présentations, l’abbé de Choisy, le chevalier de Forbin, le père jésuite Tachard,

Tachard

le général Desfarges etc)

Mais le livre de Sportès reste un roman, ne serait-ce que par le style, le ton choisi, qui en déroute plus d’un :

Et lorsqu’on l’interroge sur son style, cette note d’humour omniprésente tout au long de cet ouvrage, l’auteur répond d’un air amusé : « Je ne voulais pas tomber dans un récit long et ennuyeux. C’est pourquoi j’ai volontairement adopté un style satyrique et burlesque en m’inspirant d’auteurs tels que le Duc de St-Simon ou Scaron.

Scarron

Certains passages sont tout droit issus du Malade Imaginaire ! Les personnages de cet ouvrage parlent comme parlent les archives de l’époque, explique-t-il. Leur ton n’a rien d’anachronique. ».

http://www.lorientlitteraire.com/article_details.php ?cid=6&nid=3566

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4/ Mais en fait Morgan Sportès va essentiellement nous conter, sur un mode burlesque, la débâcle de cette expédition, ce qu’il appelle dans son interview, le récit de notre premier Dien Bien Phû. Vous avez dit Dien Bien Phû !

Le plan élaboré à Versailles.

L’évocation, en « flash back », en une trentaine de pages (pp.126-157), de l’Ambassade siamoise à Paris, menée par Opra Wisuthra Sunthon, dit Kosapan, Oluang Kalaya Rajamaïtri et Ocun Sri Wisang Waja , arrivée le 18 juin 1686 en France, sera l’occasion de comprendre l’origine, la chronique de l’échec annoncé.

ambassadeurs

Nota. Il faut savoir que cette ambassade siamoise en France (la deuxième), était repartie avec la première ambassade française menée par le chevalier de Chaumont et de l’abbé Choisy et avait séjourné en France entre juin 1686 et mars 1687. Les missionnaires de Lionne (servant d’interprète), Vachet, et leur rival le père jésuite Tachard (« ambassadeur officieux du ministre Phaulkon auprès du père de La Chaise et du roi de France »).

tachard 2

Au départ, on voit donc les différentes ambitions :

La lettre officielle du roi Naraï à Louis XIV accordant le port de Singor au Sud du Siam, pour intimider les Hollandais « qui était en passe d’accaparer toute cette région » (p. 125), et demandant une douzaine de pères versés dans l’astronomie. Le plan « secret » de Phaulkon et des jésuites (relayé par le jésuite Tachard et appuyé par le confesseur jésuite de Louis XIV de La Chaise (« qui avait l’oreille du roi » et de Mme de Maintenon ) : envoyer 70 jésuites déguisés, s’emparer de l’appareil d’Etat, convertir le roi, avec l’aide de « l’homme providentiel », Phaulkon. Ce plan entrait dans la stratégie jésuite de convertir le roi du Siam. La critique de ce plan par le père de Lionne auquel le Secrétaire de la marine de Seignelay, demande son avis. Ses arguments sont explicites :

trop d’intrigues politiques, le plan repose sur un seul homme, un aventurier en qui on ne peut avoir confiance « aujourd’hui du côté français, demain du côté des Hollandais ou des Perses », « il ne semble tenir son pouvoir que de la seule, et fragile, faveur du roi ». De Lionne est pour la prise de la citadelle de Bangkok, « c’est la clé du royaume », dit-il. De plus, elle serait un refuge pour les Chrétiens.

L’ambassadeur siamois Kosapan, blémira en apprenant que les Français veulent en fait Bangkok. Il a le sentiment de la traîtrise de Phaulkon.

220px-Constantin Phaulkon

(p. 153). Il craindra pour sa vie, lors de son retour. Arrivé au Siam, Kosapan apprendra au général Pitratcha qu’ils sont trahis et qu’il faut lever les troupes. (p. 168)

Ces différents acteurs avec leurs différents intérêts seront la source des conflits futurs, mais la mission, le plan choisi est bien de s’emparer du fort de Bangkok et de Mergui, pour s’implanter au Siam, avec :

L’escadre composée de 5 bâtiments , 1610 personnes, dont 636 soldats (144 périrent pendant le voyage), avec : l’Oiseau, vaisseau de 600 tonneaux, 46 canons, 310 personnes, (arrive le 26 septembre 1687 au Siam, après 7 mois de traversée) ; 3 autres laissés en arrière dans le détroit de Banka (Sumatra), le Gaillard, 600 tonneaux, le Dromadaire et la Loire, flûtes de 500 et 550 tonneaux et la quatrième la Normandie, frégate de 300 tonneaux (arrivera 1 mois et demi après).

L’escadre comprend aussi peintres, sculpteurs, ingénieurs, jardiniers, miroitiers, artisans de toutes sortes, destinés au service du roi de Siam ou de monsieur Constance.12 jésuites chargés d’enseigner l’astronomie et les mathématiques au roi du Siam et les pères des Missions étrangéres (le père Verniaud, le supérieur l’abbé de Lionne) ; l’ingénieur Vollant de Verquains

vollant de verquains

chargé de diriger les travaux de fortification de Bangkok, qui ont dû être mis en œuvre par le chevalier de Forbin, de la 1ère ambassade il y a 2 ans ; Du Laric, capitaine des bombardiers ...

5/ Mais le roman de Sportès va d’entrée nous plonger dans l’échec de cette mission d’implantation au Siam.

Les causes sont multiples.

Les principaux acteurs ont des intérêts divergents.

Nous avons déjà vu de La Loubère, Céberet, le général Desfarges, et Tachard. Il y a aussi les trois ambassadeurs thaïs de retour (Opra Wisuthra Sunthon, dit Kosapan, Oluang Kalaya Rajamaïtri et Ocun Sri Wisang Waja), Véret, chef du comptoir français d’Ayutthaya, les jésuites et les missionnaires, le roi Naraï et le général en chef Pitracha, les mandarins et les moines ...

La première cause est le conflit entre de Laloubère et le jésuite Tachard

Pour La Loubère les instructions sont claires : la cession de Bangkok et Mergui, une exigence non négociable. (p. 69)

Pour Tachard a une autre mission et des pouvoirs étendus. (Cf. la lettre signée par le ministre de Seignelay lui donnant tout pouvoir de négociation). Il veut, au nom des jésuites -il a l’appui du père jésuite La Chaise, confesseur du roi Louis XI- soutenir la politique de prise de pouvoir et la stratégie de Constance Phaulkon, afin d’obtenir la conversion du roi du Siam et/ou placer les Jésuites près du Pouvoir. Mais il sait que « les Siamois n’ont promis que la ville de Singor aux Français », qu’il n’a pas répondu à la demande de Phaulkon d’envoyer 70 personnes pour noyauter l’Administration.

La deuxième cause : le conflit entre Constance Phaulkon et La Loubère.

On apprend que Constance est en colère d’apprendre que la France envoie « sept cents soudards » alors qu’il voulait 70 personnes de qualité pour noyauter le Pouvoir et l’Administration , « il comptait mettre en place aux postes clefs du royaume des hommes à lui, intelligents, fidèles, obéissants »« (Sportès cite en note un mémoire de Phaulkon à Tachard. p.111). Ensuite, il comptait offrir la couronne au fils adoptif du roi, « dépossédant ainsi les héritiers légitimes qui, à Siam sont les frères du roi : lesquels haïssaient Phaulkon ».

Phaulkon est conscient que l’arrivée des soldats et l’exigence d’obtenir Bangkok et Mergui le feront accuser de traîtrise par les mandarins et les bonzes, et le discréditeront auprès du roi. Il n’aura donc de cesse de contrer la mission française.

Il donnera une lettre à Tachard pour les Envoyés extraordinaires de l’ambassade, où il est dit que les Français doivent renoncer à Mergui et « se contenter » de Jongcelang (Phuket). (p.86)

La 3 ème cause, la situation à leur arrivée : un climat explosif, les désillusions :

L’Ambassade française apprend :

-  que le chevalier de Forbin a fui le Siam, il y a 6 mois, après un conflit ouvert avec Constance (et tentatives d’assassinat), la Révolte des Macassars,

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la révolte des Anglais de Mergui (Cf. explication p. 231), qu’un jeune Français de 20 ans, M . de Beauregard, fidèle de Constance a été nommé gouverneur de Mergui. (p.79) ...

-  par le lieutenant du Bruant, que les deux forts de Bangkok sont bien défendus, une centaine de bons canons en bronze, 400 à 500 soldats portugais, siamois, métis.

-  par Vollant des Verquains, le général Desfargues et l’amiral de Vaudricourt que « les vents étant contraires et les fonds insuffisants nos vaisseaux, en cette saison du moins, ne pourraient remonter le fleuve » (p. 160).

-  qu’à l’arrivée 140 soldats étaient déjà morts sur les 700. (p.159), (plus 50 alités, p. 196). De plus, « la moitié des munitions ont été gâtées pendant le voyage » (p. 209)

-  par Veret, chef du comptoir français à Ayutthaya que :

« ce Constance n’est pas plus Premier ministre que je suis pape (...) c’est quelque chose aussi comme un ministre du Commerce » (il régit tout le commerce et a le monopole d’achat), « c’est un fourbe », qui a su berner de Chaumont et Choisy (de la 1ère ambassade), leur faire croire à la richesse du Siam (aurait promis à de Chaumont , le monopole du poivre, alors qu’il n’y a pas de poivriers) et faire de Tachard, sa dupe (pp. 88-89).

Il explique pourquoi Constance avait voulu garder le chevalier de Forbin, venu avec la 1 ère ambassade ; il « s’était rendu compte que le sieur Constance était un charlatan, que Siam n’était point riche et que la France n’avait rien à y faire ». (p.93) Il avait peur que le chevalier ne dénonça sa stratégie personnelle, qui était d’attirer les Français, peut-être « pour contrebalancer le pouvoir des Hollandais », et assurer son pouvoir personnel.

Les missionnaires, « comme les jésuites qui veulent prendre leur place, désirent qu’une présence française, commerciale et militaire soutiennent ici leurs efforts. » (...) « Dites-moi un peu ce qu’ils ont converti, nos bons pères, depuis 20 ans qu’ils sont dans ce pays ? » (p.95)

Tout le monde veut la peau de Constance (Anglais, Hollandais, Portugais, Maures, mandarins, bonzes, Pitratcha) et il faut tôt ou tard qu’il trouve une protection.

6/ Les manoeuvres de Phaulkon.

Ne pouvant accorder les forts de Mergui et de Bangkok, Constance va :

Dans un premier temps, proposer un traité de 10 articles via Tachard qui céderait Bangkok et Mergui, mais à certaines conditions : de prêter serment à Phaulkon, la présence de soldats siamois dans les forts, que les travaux de fortification devraient avoir l’agrément du roi, que Mergui serait aux ordres, non du gouverneur français mais du roi et de Phaulkon, en cas de doute, Tachard aurait la décision...

La Loubère et le général Desfarges, malgré leur colère, signèrent le traité, se jurant de le renier, dès qu’ils seraient installés dans les forts.(pp. 169-170)

les soudoyer : offre fins repas, femmes, noyaute, séduit les officiers, invite tout l’Etat-major chez lui (p..261), après l’audience royale, « il y eut des fêtes presque chaque jour dans le palais de Phaulkon » p. 329. Offre un gros diamant au général Desfarges, (« « L’affaire du diamant » fut le principal sujet de toutes les conversations à Siam pendant une quinzaine de jours » (p. 421), lui fait miroiter, le formidable trésor royal (« L’or est là : manquent les hommes » p.387). « ma table est la vôtre. Invitez-y qui vous voulez et au nombre que vous voulez ». Veut lui faire fructifier l’argent de la solde de ses soldats « Avec les quatre mille écus de votre équipage je puis produire en quelques mois douze mille écus ! et plus ! » (p.391)

les diviser : jouer les uns contre les autres, flatter le général « vos exploits, que partout à Siam on raconte », le détacher à Lopburi, loin de ses troupes, nommer Beauchamp major de Bangkok, (puis colonel) ... les pervertir en envoyant des femmes, des espionnes (« Combien n’avait-elle dû en séduire, en corrompre, en subjuguer, des mâles, sur ordre de son maître, le grec Hierakis-Phaulcon, le Levantin ! », dit La Loubère par exemple. (p. 379) les menacer : « N’envoyez pas vos plaintes au roi de Siam ou ça se passera pour vous comme pour les Persans : très mal ! » (p. 248). Confirmé par de Lionne « un des points principaux de la politique de monsieur Constance est d’empêcher qu’aucun européen puisse parler au roi de Siam » (p. 297) et surtout ceux qui connaissent bien la langue. (ainsi ne sera-t-il pas reçu en audience par le roi).

-  Et « jouer la montre », sachant que son « ennemi » de Laloubère doit repartir début décembre vers la France :

Que d’étapes avant d’obtenir l’audience royale du 2 novembre 1687 (arrive page 311 !) et le général Desfarges est reçu à part et honoré ! comme pour mieux divisé (p.323). Ensuite, les envoyés doivent attendre une semaine avant de rejoindre le roi à Lopburi. Une fois-là, « Ils tenaient conseil de guerre : on était à la mi-novembre déjà !...

Et Phaulkon veut être le chef de la mission et le général en chef des troupes françaises :

-  Phaulkon via Tachard a nommé des officiers français à la tête de troupes siamoises, maintenu en place l’ancien gouverneur portugais Da Silva, promu Beauchamp, major de Bangkok (p.208)

-  Tachard prétend du fait de ses instructions, qu’il n’a pas s d’ordre à recevoir de Céberet (p.212). Il remet des lettres à La Loubère, qui informe que Desfarges et ses hommes sont soumis à la justice du roi et de Phaulkon, que Desfarges ne peut plus condamner à mort, sans autorisation du roi de Siam.

-  L’incident du 7 décembre (pp. 423-427) : Phaulcon se prend pour le général en chef (« Céberet était stupéfait. Le ministre Phaulkon était en train, au nez et à la barbe du général qui ne pipait mot, de se comporter comme le véritable commandant des troupes françaises » (Cf. note 6)

Mais le constat était là :

De La Loubère et Céberet voulaient repartir début décembre après avoir « tout réglé », « tout bouclé », or rien, ou presque, n’était ni réglé », ni « bouclé ».(p. 353).

« Une fois encore ils sortaient bredouilles de ce énième entretien avec le ministre » (p.359.) « Cela fait donc un mois et demi que nous arrivâmes à Siam ! Et qu’avons-nous obtenu ? ...rien ou presque ! (...) Pouvons-nous espérer que soient publiés les Privilèges aux chrétiens du traité de Chaumont ? » (p.402).

Le réquisitoire de La Loubère est clair :

le principal responsable : le général Desfarges.

« Desfarges, la pièce maîtresse sur l’échiquier de Siam ; Desfarges, l’épée de Damoclès qu’ils pouvaient faire peser sur la tête de Phaulkon et de son roi en brandissant la menace d’une intervention militaire ; Desfarges le chef des armées, le protecteur de la Mission et des Chrétiens du pays, Desfarges, au lieu de planter sa tente à Bangkok, de s’y fortifier avec les troupes, d’y verrouiller le fleuve, d’y tenir dans ses griffes toute la vie économique du pays, Desfarges, ce gros benêt, qu’on avait dû séduire, acheter peut-être, allait rester à Lopburi, pour jouer les « courtisans du roi, du grec ! » (p.410)

7/ La « situation » catastrophique :

-  Le fort de Bangkok est en ruine et ne peut résister à un siège. (Cf. la rencontre Céberet/ Desfarges, où Desfrages refuse de déclarer que la forteresse peut résister à un siège (p.422) ; Céberet convoqua l’ingénieur Vollant des Verqains « à qui devait être confié la mise en état de la forteresse » pour lui faire signer ce qu’on peut appeler une décharge, qu’il signa « à contrecoeur ».)

-  Les soldats sont dans la misère, les tripôts, l’opium, les paris, les filles (300 filles, dit-on), l’offre de déserter (« on » contacta en secret certains de nos soldats pour les faire déserter » p. 443).

-  400 siamois et mercenaires occupent le fort.

-  Le mauvais comportement des soldats français à Bangkok : « la population de Bangkok hait les Français ! Même les putes n’en veulent plus ! Ces messieurs, qui n’ont plus le sou, prétendent les foutre gratis ! Les soldats ont brulé en une nuit d’orgie la prime que vous leur avez versée » (p.368)

-  Les querelles entre religieux p.289

-  La situation de fin de règne. « De nouvelles alliances, de nouveaux partis, se créaient. de nouveaux fils de l’intrigue commençaient à se nouer ». (p.377)

-  La rencontre entre Pitratcha, sortant de chez le roi, avec Phaulkhon. Pitratcha évoque la santé fragile du roi, les deux frères du roi qui ne les portent pas dans leur cœur, « Et pour l’installation française à Siam, dont aucun de ces princes ne veut » (p. 376) ; le roi veut que Desfarges « restât à la cour de Lopburi ... à portée de main « (p.377) ; le roi veut « des mortiers, et des canons d’un modèle inconnu » que les Français ont sur leurs vaisseaux.

8/ Le départ des Envoyés spéciaux.

Un traité de commerce avait été signé, « avantageux pour les deux parties ». « excepté pour quelques produits que se réservait le roi, totale liberté de commerce à Siam : aucune taxe ne serait perçue sur mes marchandises que nous exporterons de cc pays ou que nous y ferions transiter. Une île dans le golfe du Bengale nous serait offerte »

-  « Question commerce tout allait bien, donc. Mais pour le reste les choses restèrent en l’état » (p.445) et les Envoyés désirent quitter le Siam au plus tôt : voyant qu’ils n’obtiendraient rien de plus. Il était inutile d’immobiliser les vaisseaux » (p.445)

Céberet obtient l’audience royale de congé le 13 décembre 1687. Il rejoint Mergui début janvier 1688, où l’attend Forbin venu de Pondichéry pour le chercher ! (« -aucun historien n’a jamais expliqué pourquoi- » ajoute Sportès). (Cf en note 7 ce que Forbin pense de Phaulkon)

De la Loubère apprend par Phaulkon en colère, qu’il aura son audience de congé le 22 décembre, mais que le roi a exigé que les bombardiers restent au Siam. Ce qui nous donne droit à une scène burlesque où devant l’Etat-major, les deux compères demandent l’arrestation de l’autre.

Loubère ne songe qu’à partir, et nous n’avons pas droit à une conversation avec le Général Desfarges concernant la suite de la mission ! Il ne peut que constater :

« Qu’avaient-ils obtenu : rien. » (p. 454)

Que dire encore ?

L’Oiseau est déjà parti sur Pondichéry, et le Gaillard, six cent tonneaux, cinquante canons , la Loire, le Dromadaire, emmenaient le 3 janvier 1688, de La Loubère et Tachard qui repartait comme ambassadeur du Siam, avec des lettres destinées à Louis XIV , au pape, au père de La Chaise, et autres...(et cent milles écus de marchandises, des lingots, des rubis de Phaulkon confiés à Tachard).

1er bilan.

L’Ambassade arrivée le 26 septembre 1687 au Siam, repart le 3 janvier 1688, avec le bilan que l’on connait.

Ecoutons de la Loubère :

« Qu’avaient-ils obtenu : rien. Pas de privilèges pour les Chrétiens ; les travaux de fortification de Bangkok piétinaient, les troupes siamoises étaient toujours présentes dans la place ; Du Bruant n’était pas à Mergui, Desfarges roucoulait à Lopburi ; le roi ne serait jamais converti et ... pour couronner le tout, selon les informateurs des missionnaires, Phaulkon essayait de se réconcilier avec les Anglais » (p. 454). Il oublie le traité de commerce qui avait été signé par Ceberet, « avantageux pour les deux parties ».

Il ne se faisait plus d’illusion sur la suite de la mission commandée par le général Desfarges.

Sur le départ, à Bangkok, il apprend par le major Beauchamp, le lieutenant Vertesalle et l’ingénieur Vollant de Verqains, que depuis 2 mois, rien n’a changé, trois plans de forteresse ont été repoussés, et que sur 636 soldats, ils ne restaient que 400 valides (144 périrent pendant le voyage, plus 52 sur place, et 40 nouveaux malades fin décembre). De la Loubère leur déclare que Constance Phaulkon est l’ennemi de la France « et qu’ils ne doivent plus obéir au général Desfarges, acheté par les présents de Phaulkon « Et les prochains renforts n’étaient prévus que pour dans 7 mois » ! La seconde phase du PLAN : « l’un des plus puissants navires de guerre de la marine de Louis XIV, l’Oriflamme, 64 canons, 750 tonneaux, 200 fantassins , et bien sûr de l’artillerie, de la poudre et munitions. ».

9/ « Depuis que les vaisseaux avaient levé l’ancre. La donne du jeu était bouleversée »

Les chapitres 4 et 5 allaient raconter les événements de la Révolution de 1688 et le fiasco de l’expédition ; « le 1er Dien Bien Phû français » ? (pp. 461- 726).

En effet, de La Loubère en partant avec Tachard le 3 janvier 1688 n’aurait pu deviner :

que Phaulkon proposerait au général Desfarges de venir à Lopburi avec 100 hommes pour arrêter Pitratcha et Prapy, le fils adoptif du roi, que le général, grâce à Véret et de Lionne, interprétait désormais autrement les épisodes qu’il avait vécus, et verrait les pièges tendus par Pitratcha. que Phaulcon serait arrêté le 18 mai 1688, torturé et exécuté, que le roi Naraï serait déclaré mort le 11 juillet 1688, et que le général des Eléphants Pitratcha, après avoir éliminé tous les prétendants au trône, deviendrait le nouveau roi du Siam, le 1er août 1688, lors de ce qu’on allait appeler la Révolution de 1688.

que les Français seraient rapidement battus par les forces siamoises et que des négociations seraient engagées pour quitter le Siam, menées par l’évêque de Métellopolis et Véret avec le siamois Kosapan.(futur 1er ministre de Pitratcha) qu’un traité sera signé le 18 octobre 1688, qui consentait à prêter aux Français le Siam et le Lopburi avec 45 000 livres de vivres avec comme garantie l’évêque et Véret en otages, ainsi que les Chrétiens du pays comma caution des 300 000 écus investis par Phaulkon dans la Cie des Indes, et après avoir rendu aux Siamois madame Phaulkon qui s’étant enfui pour se réfugier auprès des Français (En geôle, le père de Bèze en profita pour lui faire signer la donation de ses avoirs gérés par les jésuites). Véret s’enfuit, et Kosapan refusa de livrer l’évêque contre trois mandarins pris en otage.

Les Français partaient le 2 novembre 1688.


Alors le roi Louis XIV avait-il voulu coloniser le Siam, nous demandions- nous en titre ?

Il est sûr qu’il avait voulu s’implanter. On n’envoie pas impunément 5 bâtiments, 1610 personnes, dont 636 soldats et un an après un navire aussi puissant que l’Oriflamme avec une relève de 200 soldats. On ne décide pas de prendre Bangkok et Mergui pour une simple visite (Les sources les plus sûres le confirment).

Mais on peut choisir un meilleur général en chef, et ne pas donner un pouvoir de négociation aux Jésuites, grands responsables de cet échec, dans leur volonté de se mettre au service du grec Phaulkon, qui n’a pas su voir à temps la « révolution » menée par Pitratcha.

Les Français sont arrivés divisés, et leur « allié » Phaulkon n’était le plus maître du jeu politique siamois. Leur général en chef Desfarges n’était pas à la hauteur et a joué un rôle pitoyable. Il le montra encore en organisant une expédition râtée contre Phuket en 1689 (Cf. notre article 14 « L’expédition de Phuket de 1689 du général Desfarges.)

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Morgan Sportès termine son roman en disant : Chacun put écrire sa version des faits, et de citer les jésuites, les pères des Missions étrangères, les diplomates, les officiers, la Compagnie des Indes, les libres penseurs, les Siamois (Cf. sa bibliographie) ...

Mais « Monsieur de La Loubère, sur le conseil de plusieurs de ses amis, dont le chancelier Pontchartrain, renoncerait finalement à écrire sa version des événements de Siam : elle risquait en effet de mettre trop en évidence le rôle désastreux que jouèrent les jésuites, et de lui mettre à dos le tout puissant de La Chaise, sans l’aval de qui il était impossible de rien obtenir, et surtout pas un siège à l’Académie ».

Le père Tachard, ayant appris la révolution de 1688 voulut repartir au Siam pour convertir Pitratcha ou son fils !(Cf. notre article sur le père Tachard )

Le général Desfarges « après sa terrible entreprise militaire contre Jongcelang-Phuket » s’embarqua en mars 1690 pour la France sur l’Oriflamme. Il mourut de scorbut avec la moitié des passagers avant le Cap de Bonne Espérance le 26 avril 1690.


*« Pour la plus grande gloire de Dieu », Points/seuil, (1993).

Bio. Morgan Sportès, né le 12 octobre 1947 à Alger, est un écrivain français.

Il a publié dix-huit livres qui ont attiré l’attention de personnalités comme Claude Lévi-Strauss ou Guy Debord. Nombre d’entre eux ont été traduits en de nombreuses langues, notamment en espagnol, italien, portugais, grec, japonais, thaï, allemand, russe, polonais, chinois.

Son livre-enquête L’Appât a été porté à l’écran par Bertrand Tavernier en 1995 (L’Appât avec Marie Gillain, Olivier Sitruk et Bruno Putzulu). Il est lauréat de la Villa Kujoyama 2000 et du prix Interallié 20112.

Il effectue son service national en coopération en Asie, ce qui lui inspirera plus tard plusieurs livres : Siam (1982), sur ses "dérives", came et filles, en Thaïlande, fable sur la marchandisation du monde ; Pour la plus grande gloire de Dieu (1995), roman sur le Siam du XVIIe siècle ; Tonkinoise (1995), roman historique sur l’Indochine du temps de Pétain ; Rue du Japon (1999), confession sur ses « liaisons dangereuses » avec une femme japonaise Œuvres

Siam, Paris, Éditions du Seuil, 1982. La Dérive des continents, Paris, Éditions du Seuil, 1984. Je t’aime, je te tue, Paris, Éditions du Seuil, 1985. Comédie obscène d’une nuit d’été parisienne, Paris, Éditions du Seuil, 1986. Le Souverain poncif, Paris, Éditions Balland, 1987. Outremer, Paris, Éditions Grasset & Fasquelle, 1989. L’Appât, Paris, Éditions du Seuil, 1990. Pour la plus grande gloire de Dieu, Paris, Éditions du Seuil, 1993. Ombres siamoises, Paris, Éditions Mobius/H. Botev 1995. Tonkinoise..., Paris, Éditions du Seuil, 1995. Lu : roman historique d’inspiration marxiste-léniniste, Paris, Éditions du Seuil, 1997. Rue du Japon, Paris, Paris, Éditions du Seuil, 1999. Solitudes, Paris, Éditions du Seuil, 2000. Essaouira, Paris, Éditions du Chêne, 2001. Une fenêtre ouverte sur la mer, Paris, Éditions du Seuil, 2002. L’Insensé, Paris, Éditions Grasset & Fasquelle, 2002. Maos, Paris, Éditions Grasset & Fasquelle, 2006 (Prix Renaudot des lycéens 2006). Ils ont tué Pierre Overney, Paris, Éditions Grasset & Fasquelle, 2008. L’Aveu de toi à moi, Paris, Fayard, 396 p. Tout, tout de suite, Paris, Fayard, 2011- Prix Interallié 2011 - Globe de cristal 2012 du meilleur roman

**(Distr. Librairie Chalermnit, BKK, 1962).

12. Les relations franco-thaïes : La 2ème ambassade de Louis XIV, vue par Mme Pensri Duke, une historienne thaïe des années 1960.

http://www.alainbernardenthailande.com/article-12-la-1ere-ambassade-vue-par-une-historienne-thaie-64176235.html

*** « Les Missionnaires français au Tonkin et au Siam », XVIIe-XVIIIe siècles, L’Harmatan, Livre 1, Annexe 1, 1998.

****Cf. son étude, « Du royaume de Siam ».

***** Les deux ambassades vues par le Comte de Forbin http://www.alainbernardenthailande.com/article-6-les-relations-franco-thaies-les-deux-ambassades-de-louis-xiv-63639892.html

La 1ère ambassade de 1685, vue par l’abbé de Choisyhttp://www.alainbernardenthailande.com/article-8-les-relations-franco-thaies-la-1ere-ambassade-de-1685-63771005.html

La 2ème ambassade de 1687

http://www.alainbernardenthailande.com/article-10-les-relations-franco-thaies-la-2eme-ambassade-de-1687-63771843.html

La révolution de 1688 par Pitracha

http://www.alainbernardenthailande.com/article-13-les-relations-franco-thaies-la-revolution-de-pitracha-de-1688-64176423.html

Note 6 :

-  il convoque Céberet, chez lui où il le voit « comme sur un trône, et entouré de tout l’état-major des officiers et des jésuites » ; il reproche au capitaine des bombardiers son refus de « débarquer certains canons et mortiers dont le roi est très curieux », et dont il a besoin pour mâter des rebelles à Pattani. Il exige de l’intendant de la salle qu’il exprime son obéissance au roi du Siam et à lui-même (« Et si je vous l’ordonne, moi ! hurla Constance exapéré ». Céberet comprend alors que Phaulkon tient de La salle qui a dû lui confier ses fonds pour les « investir dans quelque aventure commerciale : chose absolument interdite pas le règlement militaire , bien entendu ! Dans ces conditions, le grec le tenait à la gorge, et le pouvait faire chanter » (p ; 426)

-  Céberet, devant le silence de Desfarges, est obligé de rappeler à Phaulkon que « un officier subalterne ne peut recevoir d’ordre que de son général ». Mais Phaulkon, avec l’aide de Tachard et l’accord de Desfarges obtient quand même satisfaction et reçoit trois jours plus tard, trois mortiers et un canon en acier, pour une « démonstration » ! on enseigna en fait, « sous la savante direction du capitaine de Laric, le maniement des mortiers, et on proposait des « montagnes d’or » aux bombardiers de rester au Siam pour entraîner les troupes du roi et leur enseigner l’artillerie.

-  Ce qui fait dire à Véret à de La Loubère : « Etrange spectacle, monsieur l’Envoyé, ne trouvez-vous point ? voilà qu’on apprend à ces gens le métier de nous exterminer ». (p. 431)

Note 7

-  Forbin lui rappelle pourquoi Phaulkon avait désiré le garder « Ce pourquoi le Grec m’empêcha de retourner ensuite en France. Il avait peur que je ne donne à sa Majesté très chrétienne un avis négatif », sur la pauvreté du pays, sur son besoin des Français pour mater les rebellions, « Car il est grillé au Siam. Tous les mandarins veulent sa peau et ils n‘attendent que la mort du roi pour l’égorger ». « il a tenté de m’assassiner ; J’ai préféré m’enfuir à Pondichéry », « Cet homme-là, je vous le dit tout net, veut s’emparer du pouvoir grâce à nous Français. Son but : être roi ! ».(p.447) ( Cf.Notre article : Les deux ambassades envoyées par Louis XIV à la Cour de Siam en 1685 et 1687, vues par le Comte de Forbin.***** )

Note 8. L’ Acte IV.(p.461) et Acte V (pp. 601-726).

La révolution de 1688 et la fuite des Français.

L’ Acte IV. (p. 461) allait-il montrer le réveil de Desfarges ?

Il arrive enfin à Bangkok le 27 décembre pour voir que « Tous étaient physiquement et moralement minés », « Pour ce qui des travaux de fortification : néant ou presque. « (p.465). De nouveau, il en est réduit à demander le matériel nécessaire à Phaulkon, qui le rassure, et lui promet « dans 10 jours vous aurez mille ouvriers ! ». Promesse ?

Desfarges veut réagir. Va-t-il suivre enfin ses « instructions » ?

Il confie à Phaulkon que son Etat-major estime qu’il est une marionnette et qu’il a été acheté, et que sa tête est en jeu (« de la Loubère a promis de me faire la peau à Versailles »). Il demande l’autorisation de s’installer à Bangkok et que du Bruant rejoigne Mergui.

Phaulkon refuse : « J’entends qu’on m’obéisse. Je ne veux pas qu’on occupe Mergui cette année » (p.469), rappelant qu’il dépende de lui pour les vivres, les affûts de canons, et pour la solde (Desfarges lui a confié les fonds à des fins spéculatives ). Et Phaulkon de verser un tikal (solde pour une semaine env.) aux soldats en rang, de la part du roi de Siam.

Apprenant la nouvelle de son fils mourant, il ordonne à Desfarges de remonter sur Lopburi avec lui, ainsi que le major Beachamp et le sieur du Bruant.

Vertesalle, le commandant en second refuse de les suivre, malgré les menaces du Conseil de guerre proférées par Desfarges, rappelant qu’il ne peut laisser sans commandement une place forte, « et cela en infraction avec les lois les plus élémentaires de la guerre ».

« Depuis que les vaisseaux avaient levé l’ancre. La donne du jeu était bouleversée » (p. 478).

Les mauvais signes pour Phaulkon.

On évoque des rumeurs, des présages, le mauvais sort de Phaulkon (son fils mourant, la fausse couche de sa femme)(« au dire des bonzes et magiciens, confirmaient que l’étoile du ministre avait terni ». « On avait même jeté une pierre à un prêtre, chose jamais vue jusque-là ». Tous les signes annonçaient aussi la mort prochaine du roi. La femme de Phaulkon sent aussi la fin de son mari. « elle le lui avait dit, elle le lui avait répété, qu’il fallait partir, fuir ... sur le vaisseau même des Envoyés spéciaux, avec leurs enfant...et l’argent ». (p.482).

Les bons signes pour Pitratcha, grand général des éléphants.

On rappelle ses origines (mère nourrice du roi, et de feu le barcalon Kosa Thibodi, frère ainé de Kosapan. Chef militaire glorieux. La légende le disait pourvu de pouvoirs magiques. Le peuple le voit roi. Il a sous ses ordres 20 000 éléphants. Fin politicien ; s’avance ne modeste, prétendant finir ses jours sous l’habit des bonzes. Ami du Grand Sancrat de Lopburi.

Il prévient Phaulkon le 16 janvier 1688 (quelle précision !) que la roue tourne.

Il lui livre les données en la page 486 : la haine contre les Français et contre vous qui les avait fait venir (et vous les aidez présentement), la venue du rajah de Johore venu proposer une alliance pour chasser les Français, la plainte du grand Sancrat auprès du roi. Les princes frères du roi, amis des musulmans, courtisés de plus en plus, par les mandarins ; l’interrogation sur le lieutenant du Bruant que l’on retient avec ses hommes ...

Les dernières cartes de Phaulkon ?

Phaulkon estime qu’il doit tenir 7 mois : « le temps qu’arrivent de France les renforts » (p.489) et donne ses ordres à Desfarges au nom du roi.

Curieusement Phaulkon pense encore au commerce et ordonne au nom du Traité (article 11) que les capitaines Suhart et Sainte-Marie embarquent avec 50 hommes sur deux vaisseaux du roi de Siam. Vis-à-vis de Pitratcha : ordonne le 17 février que le lieutenant du Bruant rejoigne Mergui avec 3 compagnies, soit 120 soldats.

Que soient envoyés sur Lopburi :

les 3 compagnies siamoises formées par le major Beauchamp, que Phaulkon nommera colonel des troupes siamoises (quittent la fortresse le 26 février) les 40 malades. 50 cadets pour former l’escorte du roi (Desfarges en accordera 25)

Desfarges se contente de se lamenter sur les 200 soldats valides qui lui restaient. « Mais que veut-on à la fin ? Diviser les troupes ? ... M’affaiblir ? ... M’égorger ? » (p.494)

Le père jésuite de Bèze, le « secrétaire » de Phaulkon, lui expliqera que « Monsieur Constance a besoin de forces conséquentes à Lopburi, car à Lopburi se trouve le roi et son palais. Qui s’en assure s’assure du pouvoir. ».

Nous n’étions plus dans une expédition française qui avait reçu des ordres du roi louis XIV, mais dans le PLAN de Phaulkon pour prendre le POUVOIR.

A Bangkok, l’édification de la forteresse n’avance pas, subit du sabotage, du détournement de matériel. (Vollant lui-même s’est fait construire auprès du fleuve un triple pavillon sur pilotis). On pêche au canard.

Le complot de Phaulkon ? (pp. 500-515).

Deux mois plus tard, le 28 mars 1688, le général Desfarges est convoqué à Lopburi par Phaulkon pour une audience royale. Le roi l’invite à venir s’installer à Lopburi avec des soldats pour former une troupe de gardes du Corps, et les malades (Lopburi plus saine). On leur construirait des maisons et on les paierait.

Mais c’est en fait, c’est une tactique de Phaulcon (avec l’appui des jésuites de Bèze et Blanc) pour proposer au général Desfarges de venir à Lopburi avec 100 hommes pour arrêter Pitratcha et Prapy, le fils adoptif du roi, (élevé par Pitratcha), des ennemis de la France et des Chrétiens, qui veulent déposséder l’héritier légitime Chao Fa Noï. Pitratcha a déjà demandé aux gouverneurs, disent-ils, avec le sceau du roi, de rassembler des troupes.

Cette affaire, jusqu’à sa conclusion, doit rester secrète ! Il faut mettre le roi devant le fait accompli ! Jetez à ses pieds Prapy et Pitratcha enchaînés ainsi que leurs complices (il cite le Grand Sancrat). Il lui assure que le palais est miné et qu’il peut le faire sauter, et il lui fit miroiter le trésor royal. Desfarges donna son accord et retourna à Bangkok.

Il repartit le 14 avril avec 87 mousquetaires. Il fut étonné de voir le peuple paniqué en arrivant à Ayutthaya. Le père Martineau lui dit qu’ils croyaient que les barbares farangs voulaient piller les palais d’Ayutthaya et Lopburi.

Malgré sa promesse donnée du secret, Desfarges alla discuter avec Véret, qui lui expliqua la duperie de Phaulkon, le roi étant mort. Un de ses amis arrivant de Lopburi l’informa que 5 à 6000 Siamois descendaient le long du fleuve.

Ensuite Véret et Desfarges allèrent discuter avec le père de Lionne qui confirma le traquenard. L’évêque de Métellopolis, Mgr Laneau, tempéra les propos tenus et conseilla à Desfarges « avant de prendre toute décision » ... « d’envoyer quelqu’un à Lopburi voir ce qu’il en est » (p. 531). Il leur confia ensuite comment Tachard le tenait avec la solde qu’il avait confiée à Phaulkon.

Il envoya le lieutenant le Roy à Lopburi .Il donna le mes sage à Constance qui était plus qu’étonné d’apprendre que Desfarges s’était arrêté à Ayutthaya, avait discuté avec les missionnaires, malgré le serment du secret. ll envoya un message lui ordonnant au nom du roi de « monter sur le champ ». Une autre lettre de de Bèze certifiait qu’il l’avait vu le roi le jour même. Le Roy retourna à Ayutthaya et rapporta que le roi était vivant, que Lopburi était calme et que le général devait montre rapidement.

Desfarges crut bon de retourner prendre l’avis de Veret, du père de Lionne et l’évêque, qui dénoncèrent une fois de plus les manœuvres des jésuites, et les mensonges de Constance ; une heure plus tard, Desfarges annonçait à son Etat-major sa décision de redescendre sur Bangkok. Il envoya le sieur Dacier à Lopburi, qui lui reprochait une nouvelle faute, informer Phaulkon de sa nouvelle décision (On était le 18 avril). On imagine sa colère. Dacier, le major Beauchamp repartirent sur Bangkok croyant encore pouvoir le convaincre de revenir sur cette décision. Mais ce fut en vain, malgré les assauts des jésuites, comme le père supérieur le 6 mai.

Le général Desfarges interprétait désormais autrement les épisodes qu’il avait vécus. Il comprenait la situation selon son nouvel ami Veret, qui lui révélait l’intrigue et la force de Pitratcha, qui, sitôt la mort annoncée du roi, inviteraient les héritiers légitimes à Lopburi, pour mieux les assassiner, et s’occuper ensuite de Phaulkon. Veret lui expliquait alors le rôle que voulait lui faire jouer Phaulkon, ni plus ni moins que de tuer Pittratcha, espérant, dit-il, naîvement que cela aurait suffi pour mater le pays (p.479). Il lui conseillait de rester à Bangkok,de fortifier le fort, et d’attendre la mort de Phaulkon et négocier ensuite avec Pitratcha. (« j’ai...euh...eu d’ailleurs quelques ouvertures à ce sujet » (p.479).

La fin de Phaulkon.

Phaulkon, lors de sa rencontre avec Pitratcha, juste avant la grande fête bouddhiste du Wisaka Buucha, le 15 mai 1688. voulut peut-être encore croire à l’alliance, mais il savait que tous les fortins en bois le long du fleuve jusqu’à Ayutthaya étaient tenus par les hommes de Pitratcha, de même le palais, les écuries.

Le 18 mai 1688, on pouvait assiter à la grande pagode de Lopburi, la terrible diatribe du Grand Sancrat Phra Viriat contre Phaulkon, le traître qui avait venir les Français pour « assassiner le roi, détruire la famille royale, renverser le satsana Phut, la religion bouddhiste », pour installer » le démon Crit et son armée de diables, les Farangset », qui s’apprétaient à s’emparer du palais. Il invitait alors ses fidèles avec un millier d’hommes, silencieux, tenant en main un mousquet à aller au palais. Ils purent voir 50 cavaliers Maures les rejoindre. (p.384) ;

Phaulkon, informé, cherchait une solution, au milieu du dernier carré, lorsque deux mandarins qu’il connaissait, « l’invitèrent » à venir immédiatement au palais rencontrer, le nouveau régent du royaume, le grand mandarin Opra Pitratcha. Ils lui expliquèrent qu’il avait besoin de lui et des Français pour répondre aux velléités laotiennes et péguouanes aux frontières . Toutefois, le message transmis de la part de Pitratcha ne laissait aucun doute sur son sort. Il était prévenu, que les mines au palais avaient été découvertes, que les bateaux anglais à Ayutthaya avaient été arraisonnées, que tout le fleuve était sous leur contrôle, une frégate hollandaise contrôlait l’embouchure, et qu’en cas de refus, dans l’heure qui suit, il serait considéré comme un rebelle.

Le « suicide » de Phaulkon.

Phaulkon, au lieu de choisir de changer son palais en forteresse, comme lui suggérait le lieutenant Saint-Vandrille, crut bon d’inventer l’histoire que le roi lui avait ordonné d’arrêter Pitratcha avec les officiers français. Il fit son testament au père de Bèze (l’occasion d’apprendre qu’il avait des biens en Angleterre, en Italie et dans la Compagnie des Indes Orientales) et se rendit au palais avec Beauchamp et Saint-Vandrille que rejoignirent Fretteville et le fils Desfarges et six gardes anglais.

Il fut arrêté. On était le 18 mai 1688.

Acte V (p. 601).

Pitratcha envoya un message au fort de Bangkok, pour informer les Français que Phaulkon avait été arrêté, qu’il avait été nommé régent par le roi malade, et que cela ne concernait ni les Français ni les Chrétiens. Mais le 28 mai Beauchamp qui s’était échappé, déclara que Phaulkon avait été torturé, les officiers français et chrétiens jetés en prison. Une ambassade menée par Kosapan, accompagné de Véret et de Lionne, proposa au général Desfarges de monter sur Lopburi pour remplacer Phaulkon au poste de 1 er ministre.

Desfarges y vit un piège, mais Veret et de Lionne lui montrèrent la nécessité de trouver un accord pour sauver les chrétiens. Son Etat-major y était opposé. Le 31 mai, Desfarges quitta Bangkok. Il apprit en route (par Dacieu) la situation véridique à Lopburi : Prapy avait eu la tête tranchée, toutes les maisons de chrétiens pillés, la grande majorité arrêtée.

Encore une « siamoiserie » de Pitratcha.

En audience, Pitratcha l’accuse de ne pas avoir obéi aux ordres du roi qui étaient de monter avec ses troupes. Il lui propose d’envoyer une lettre à Bangkok et à Mergui pour que ses troupes montent sur Lopburi afin de défendre le royaume pour contrer l’ennemi lao. Desfarges répondit qu’on ne lui obéirait pas. Il fut arrêté de suite.

Mais Kosapan fit comprendre à Pitratcha que ce n’était pas la bonne méthode et qu’il avait appris par Phaulkon sous la torture que des renforts arriveraient en septembre et aussi que le frère ainé du roi Chao fa Apaï Tot n’avait pas encore été neutralisé à Ayutthaya. On le relâcha, et on lui fit promettre de revenir avec ses troupes, en gardant en otage ses deux fils. Il partit le 4 juin avec Kosapan.

A Bangkok, Kosapan remarqua qu’en 6 jours, les Français avaient considérablement renforcé la forteresse, expulsé tous les soldats siamois, , fait entrer les 1000 vaches ... Desfarges allait se battre. Ils ne purent arrêté Kosapan qui s’enfuit, mais empalèrent 3 métis qui avaient refusé de tirer sur une jonque chinoise. On abandonna la vieille forteresse de l’ouest, en faisant sauter ce qu’on ne pouvait transporter, qu’on voulut reprendre voyant les Siamois l’utiliser.

Les hostilités étaient engagées. On rappela par une lettre que les otages allaient être exécutés. Rien n’y fit, mais le 17 juin, après 20 jours de « résistance », on vit Mgr Lanneau désirant parlementer. On décida un nouveau plan de résistance : partir à la recherche des navires Siam et Lopburi dont le retour était prévu pour juillet , envoyer le Solaire pour demander des secours à Mergui, et attendre les renforts. Mais le Solaire fut pris. On s’organisa, mais les Siamois étaient trop nombreux.

Pitratcha prend le Pouvoir

Il fit arrêter le frère ainé du roi. Il rejoignit son frère en prison. Ils furent exécutés le 9 juillet. Tous les prétendants étaient morts, la fille et la sœur du roi, prisonnières. On déclara le 11 juillet 1688 que le roi était mort. Le 1er août Pitratcha se fit couronner roi de Siam.

Le Siam et le Lopburi furent appréhendés par les galères siamoises. Le 15 août l’Oriflamme mouillait dans la rade, mais ne pouvait remonter la rivière jusqu’à Bangkok.

Les négociations pouvaient commencer, menées par l’évêque de Métellopolis avec Véret et de l’autre Kosapan. Un traité fut signé le 18 octobre 1688. qui consentait à prêter aux Français le Siam et le Lopburi avec 45 000 livres de vivres avec comme garantie l’évêque et Véret en otage, ainsi que les Chrétiens du pays comma caution des 300 000 écus investis par Phaulkon dans la Cie des Indes, et après avoir rendu aux Siamois madame Phaulkon qui s’étant enfui pour se réfugier auprès des Français (En geôle, le père de Bèze en profita pour lui faire signer la donation de ses avoirs gérés par les jésuites).

Véret s’enfuit, et Kosapan refusa de livrer l’évêque contre trois mandarins pris en otage.

Les Français partaient le 2 novembre 1688.

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