Morgan Sportès

un petit soldat perdu de la révolution, par François Eychart,Lettres françaises 6/9/2008

Article paru le 6 septembre 2008 Les Lettres françaises Un petit soldat perdu de la Révolution Avec son nouveau roman, Morgan Sportès dévoile les coulisses de l’épopée maoïste française. Les lecteurs de Maos retrouveront dans le roman de Morgan Sportès la quête de vérité qu’il mène sur le maoïsme en France. S’agit-il d’un roman ou d’un récit ? La question n’est pas oiseuse car un récit serait prisonnier de faits prétendument indiscutables alors que dans le cas d’un roman c’est l’interprétation des faits, dans la mesure où elle est libre et revendiquée comme telle, qui permet d’aller fort loin dans la mise à jour de cette vérité. Battant et rebattant sans cesse les cartes de la partie politique qui s’est jouée à la suite de 68, Morgan Sportès, tel un paléontologue qui reconstitue un animal disparu, fait parler cet envers d’un temps dont notre société croit pour une large part être sortie.

Ils on tué Pierre Overney est rude pour tous ceux qui ont porté les maoïstes sur les fonts baptismaux et les ont accompagnés dans leurs agissements pendant des années. L’objectif de leur mise sur orbite était d’éliminer le Parti communiste. Son influence, sa combativité étaient intolérables pour le pouvoir pompidolien, mais aussi aux visées de Mitterrand qui n’acceptait le programme commun que dans la perspective de prendre 3 millions d’électeurs à Georges Marchais. C’est aussi l’époque où l’URSS, quoique systématiquement contrée par la Chine, étendait son influence dans le monde. L’indulgence policière envers les groupes maoïstes fut patente. Elle ira jusqu’à une collusion fort évidente pour qui sait interpréter l’incapacité de la police à contrecarrer des actions aussi voyantes que celles mise en oeuvre à Billancourt et ailleurs. Morgan Sportès ne cache rien de l’aide initiale de la CFDT ou du soutien d’intellectuels réputés comme Maurice Clavel, Sartre, Beauvoir, Glucksman, Geismar, Althusser, Foucault... Ils justifiaient des actions qui devaient renverser l’État bourgeois, à partir du rejet du PCF considéré comme stalinien et en collusion avec la bourgeoisie, sans se soucier du fait que Mao revendiquait toujours Staline et s’entendait avec Nixon. Sartre sera dans cette affaire autant l’inspirateur que l’otage de ce qu’il aura validé.

De tout cela découle que seule la violence dévoilera aux masses exploitées la nature fasciste du pouvoir. La police suit tout cela à la trace et de l’intérieur, en laissant faire. C’est au cours d’une de ces actions qu’Overney est tué par un vigile. Certains secteurs gaullistes, au sein de Renault et ailleurs, n’étaient pas mécontents des actions des maos. Il n’en reste pas moins que les chefs maoïstes ont fait le choix de ce genre d’incidents, ayant prévu pour le même soir une manifestation où les CRS devaient être attaqués avec des bouteilles incendiaires, créant ainsi une situation d’une extrême gravité. L’enterrement d’Overney donnera lieu à une grande manifestation où se retrouve toute la gauche non communiste. On y conspue Marchais et Séguy. Du grand art. Ensuite a lieu l’enlèvement d’un responsable de Renault qui ne dure que deux jours et se termine par une libération anticipée. Leurs auteurs ne seront pas arrêtés. On doute qu’ils aient été bien cherchés. On doute même que la police ait eu besoin de les chercher. Puis Tramoni, l’assassin d’Overney, sera abattu après sa sortie de prison. Là encore, grande faiblesse policière.

Ce roman est sans indulgence pour nombre de ceux qui, après avoir été les inspirateurs de cette misérable épopée et l’avoir encouragée de leur verbiage, se sont ensuite reclassés dans le cinéma, la presse, l’édition où ils ont fait de belles carrières. Par contre, il sauve la figure de quelques militants, la piétaille, qui sont restés ce qu’ils étaient, gardant en eux le sentiment désagréable d’avoir été manoeuvrés par des intellos, fils de bourgeois.

Le roman de Sportès a un lien de parenté avec le roman noir. Il nous présente les coulisses d’un monde qu’on croyait déjà bien connaître car tout ou presque avait été mis devant nos yeux. Mais en fait il manquait cet art de relier les faits entre eux, de donner consistance aux hypothèses, de les faire vivre avec intelligence et sensibilité En ces temps de célébration consensuelle de Mai 68, Morgan Sportès nous rappelle quelques vérités cruelles mais utiles.

Ils ont tué Pierre Overney, de Morgan Sportès. Éditions Grasset, 395 pages, 20,90 euros.

François Eychart