Morgan Sportès

Ils ont tué Pierre Overney par Mediapart

Pour la vraie vie, pour quelques morts, contre Morgan Sportes Mediapart.fr

Je m’étais dit : le sujet à éviter, et pas qu’un peu, Mai 68, etc. Overdose et prions pour que saint Alzheimer nous prive du cinquantenaire. Glissent les bouquins, glissent les films amateurs avec tous ces jeunes gens qui ont l’air sorti du feuilleton 1960 « Janique aimée » ( mais en train de balancer des pavés). Glissent ces voix connueset empesées, glisse Sarkozy. On n’en est plus là. Pas grave. Mais. Y’a des morts qui interfèrent, y’a Sportès qui gère son fond de commerce.

Morgan Sportes, écrivain, qui n’avait pas réussi de coup éditorial majeur avec « Maos », il yquelques années, brigue en ce quarantenaire le jackpot avec comme mot-clé : Pierre Overney, 24 ans, militant abattu en 1972 par un vigile devant Renault, devenu Pierrot, et icône ( « Ils ont tué Pierre Overney », Grasset). Juste avant d’en venir aux personnes qui me tiennent à cœur, que je n’oublie pas, celles qui sont le véritable objet du billet, quelques précisions. Mai 68, pour commencer, je n’y étais pas. J’ai embrayé après. S’enthousiasmer pour la révolution culturelle chinoise comme immense remise en question était une stupidité et une ignorance majeure, mais ne changeait déjà plus rien, hélas,au destin de ses victimes. Il n’y a pas de propriété privée en littérature, et le grand roman de 68, encore à venir, sera peut-être, voire sans doute, écrit par quelqu’un qui ne l’aura pas vécu. Pas de propriété privée, mais desrevanches qui se prennent. Il y a longtemps déjà, dans ses tous premiers livres , Morgan Sportes s’appuyait sur le réel : Je t’aime, je te tue, et surtout l’Appât, soit l’affaire Valérie Subra revisitée par un discours et non par l’imaginaire, et confortée par trois interviews en prison d’une condamnée de vingt ans. Le motif de lecture n’était pas le roman - puisque toujours l’étiquette roman renvoie la critique à la liberté de l’auteur - mais les bribes de réel collées dans le roman. Ca n’a pas trop mal marché. Morgan Sportes, qui prépare un « roman » sur De Gaulle, le « seul vrai anar de 68 », n’a pas participé à mai 68. Nourri, dit-il, des romanciers du XIX ème, il était prémuni contre les excès. Il en est d’autres que ces mêmes auteurs ont jeté dans l’excès. Il ade l’indulgence pour ces militants de base - des gamins- qui n’ont rien compris. Reste que : travailler en usine, huiler la machine, comprendre qu’on est incapable de tenir la cadence, se faire rescaper par la « petit chef » normalement haïe, peu de temps, toujours peu de temps deux mois, un an, deux ans,apprendre que les réalités ont le mauvais goût de ne pas coller au schémas, apprendre tout court, quitte à fusiller ses études, et surtout, rencontrer ces personnes que tout, dans notre éducation, notre milieu, nous interdisait de rencontrer : c’est déjà quelque chose. Il n’y avait pas, alors, de ces luttes parcellaires, pour sans logis, sans papiers, sans éducation, parce qu’il y avait ce choc frontal. Apparaissaient des gens venus d’ailleurs, prolos en mutation, cadres soudain en rupture de ban, étudiants, fugueurs, déserteurs, taulards, étrangers. Parler avec des africains, des algériens - pas un seul d’entre eux au lycée, bien sûr - et les flanquer dehors parce qu’ils confondent alphabétisation et amour. Morgan Sportès, cela semble être la partie « vécu » de son roman-réel, entrait alors en phase de déséquilibre psychique et explosion sexuelle-défonce du côté de Laborde et Félix Guattari. Aujourd’hui, il n’est pas très intéressant de débattre, que ce soit avec Defendi ( voir article du 4 avril sur Mediapart, la DST infiltrée dans les rangs de la gauche prolétarienne) ou Sportes, des heurs et malheurs de la GP. Défense et illustration, non. Mais plusieurs morts - de ces morts dont Sportes dirait qu’ils ont été victimes de la trahison des chefs, et dont je peux seulement dire que ce n’est pas ce qu’ils pensaient, ressentaient - me reviennent en mémoire. Un seul. Juste celui-là, pour lequel personne n’aura jamais défilé. Ils ne sont pas morts à cause de chefs, hypothèse pratique et réductrice, ils sont morts tout court. En faire des manipulés, des naïfs, des victimes : il y a là un ultime mépris. Yves C., grande carcasse généreuse, ouvrier du côté du Havre, embarqué par 68, chouchou des maos car prolétaire pour de vrai, perdu, perdu, place de la Bastille en mai 81, ne sachant où aller, vers quoi se tourner, la liesse populaire ou bien Patricia l’autonome, qui hurlait que tout le monde allait se faire avoir. Nulle appartenance. La question était trop grande pour lui, pas que pour lui. Yves. C. qui fait lui aussi le détour par Laborde,convaincu par ses amis plus éduqués que c’est « dans sa tête » qu’il faut travailler d’abord, et qui s’entend répondre par un premier - et dernier - divan, « qu’il n’a pas les moyens intellectuels d’entamer une psychanalyse » ( d’accord, il est vraiment mal tombé). Qui braque Lacan, quelques semaines plus tard. Qui accepte un chèque ! Parce que c’était Lacan... Qui se retrouve en prison, cet idiot. Qui sort très vite (Lacan pas chien retire sa plainte). Qui se soigne ensuite la tête à l’héroïne. « I guess, but I just don’t know” ( Lou Reed) Qui meurt, du sida. Pour celui là, pour d’autres, Morgan Sportes devrait oublier les noms-clés, chercher en lui-même ce réel qu’il aime tant utiliser. Pour ma part, je suis « les photographiés du 22 mars » : dans leurs ruptures, leurs continuités, je retrouve forces et faiblesses, la vraie vie, loin de la DST comme de Morgan Sportès. Ceci, bien sûr, n’est vraiment pas un texte politique. Juste un coup de bourdon. http://www.mediapart.fr/journal/france/010408/de-1969-a-1973-la-dst-avait-infiltre-la-gauche-proletarienne http://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/190508/photo-du-22-mars-gerard-aime-photographe-officiel-officieux-du-mouvement

URL source : http://www.mediapart.fr/club/blog/dominique-conil/220508/pour-la-vraie-vie-pour-quelques-morts-contre-morgan-sportes-0 Liens : [1] http://photos.neteyes.fr/galerie/galleries/Photographes/Gerard-Aime/1971/19710100/thumbnail/Cie_19710129_0697-000-overney.jpg [2] http://www.mediapart.fr/journal/france/010408/de-1969-a-1973-la-dst-avait-infiltre-la-gauche-proletarienne [3] http://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/190508/photo-du-22-mars-gerard-aime-photographe-officiel-officieux-du-mouvement

Commentaires : Pourquoi s’en prendre à ce Sportes là ? Si c’est pour évoquer quelques souvenirs personnels, il n’est nul besoin de s’en prendre à un auteur. Il suffit de l’être soit même. Morgan Sportes, que je ne connais "ni des lèvres, ni des dents" et dont je n’ai lu aucun autre livre ne me semble pas mérité l’abscence de compte-rendu dans la Presse, ni le dénigrement de quelques blogueurs. Il raconte l’histoire d’un homme, dont la foule qui l’accompagna au Père Lachaise ne savait rien. C’est déja pas mal. Il raconte aussi "le climat"... Et à mon avis c’est cela qui dérange. Il dit l’errance des "cadres de l’orga" (nisation Gauche Prolétarienne), et la fureur de celui qui fut notre "petit timonier" avant de sombrer dans l’obscurantisme religieux. Ca doit être ça qui fache. 40 ans après, il n’y a toujours que les "Benny oui oui" qui ont droit de cité. C’est du moins ce que j’ai cru comprendre en voyant le film consacré à Benny Levy récemment par Arte. Un film dans le plus pur style de la propagande maoiste des années 60. Evidement Sportes... Ne produit pas ce jus là. C’est ça qui fache notre grain de sel, bien huilé ? 12/06/2008 16:55Par Michel Puech