Morgan Sportès

RECYCLAGE, par F Eychart, L’Humanité 2/12/2006

Les Lettres françaises

Recyclage

Dans un roman incisif Morgan Sportès s’attaque à la reconversion réussie des anciens maoïstes.

C’est à une sorte de descente aux enfers que convie le dernier livre de Morgan Sportès. Gageons qu’il ne plaira pas à certains milieux branchés qui y verront une caricature de mauvais goût. Morgan Sportès prend en effet pour sujet les ex-maoïstes qui, après avoir fait trembler une partie des milieux dirigeants politiques des années soixante-dix, se sont amendés et ont fait carrière dans ce qu’ils exécraient. (Au demeurant, ils n’étaient pas légions ces dirigeants effrayés, et leur peur était plus démonstrative que réelle.) L’aventure maoïste en France n’ayant pas revêtu les aspects violents qu’on lui vit en Italie ou en Allemagne, le reclassement de ses têtes pensantes en a été facilité, avec parfois de jolies promotions dans des places enviables. Ce serait d’ailleurs un passionnant sujet de recherche que de pointer le devenir social de tous ceux qui furent quelque chose dans les milieux maoïstes. Mais Morgan Sportès ne prétend pas faire oeuvre d’historien, bien qu’il donne malignement en fin de livre un petit glossaire de certaines déclarations qui font partie de ces textes qu’il ne sied pas trop de rappeler à leurs auteurs. Il en reste pour l’essentiel à l’approche du romancier qu’il est, mêlant fiction et réalité, jouant subtilement de l’une et de l’autre pour nous faire pénétrer dans les arcanes de ténébreuses affaires.

Son personnage, Jérôme Rouhaut, est sur le point de se marier avec Sylvie, jolie jeune femme de bonne famille, quand il est rattrapé par son passé. Un ancien activiste de son groupe l’interpelle au moment où il s’adonne au plaisir délectable de choisir les éléments de sa nouvelle cuisine. Jérôme, alias Gisors, qu’on a casé dans l’édition après ses années maos, n’a aucunement envie de reprendre du service mais les moyens de pression de son ex-camarade sont puissants et lui font craindre de perdre Sylvie et cette vie nouvelle faite de confort et de puissance à laquelle il pense avoir droit. S’il accepte, ce serait évidemment pour une seule action, la dernière ! Calcul léger qui ne peut pas lui permettre d’échapper au chantage, et qui précipite les événements.

Maos a donc un aspect policier, ménageant avec habileté des rebondissements qui tiennent le lecteur en haleine. Mais la dimension profonde du roman réside dans ce que cette trame révèle : le dessous des cartes de l’aventure maoïste en France (et en Europe) qui, d’après Morgan Sportès, trouve son origine dans l’antagonisme entre de Gaulle et les Américains. Pour contrer de Gaulle qu’ils ne supportent pas, ceux-ci favorisent le développement du maoïsme. Il s’ensuit une lutte violente autant que souterraine entre les services secrets américains et français pour le contrôle des groupes maoïstes. Pour séduisante qu’elle soit, et d’ailleurs étayée par les mémoires de responsables politiques d’alors, la thèse de Morgan Sportès reste à vérifier. D’autre part, si on ne peut écarter l’ombre de manipulations dont il y a maintes preuves, il reste la part de sincérité des hommes.

L’auteur prend grand plaisir à raconter la descente aux enfers de Jérôme Rouhaut, mélangeant habilement le réel et le rêvé. L’ensemble n’en est que plus percutant et mieux à même d’éclairer le rôle hallucinant de la police. Il se délecte aussi à mettre en exergue des citations de certains qui sont devenus depuis des autorités intellectuelles ou politiques et dont la prose fleurit régulièrement dans la presse.

Il y avait le pamphlet de Guy Hocquenghem, Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary, il y a maintenant le roman de Morgan Sportès.

Maos de Morgan Sportès.

Éditions Grasset, 2006, 407 pages, 19,50 euros.

François Eychart