Morgan Sportès

MAO ET MOI , paru dans Marianne le 9/12/2006

Chinoiseries françaises, où il est question de Phulippe Sollers, André Glucksmann, Benny Levy, Julia Kristeva, Roland Barthes, Jacques Henric etc.

MAO ET MOA

Mao et Moa

(par Morgan Sportes, écrivain, dernier ouvrage paru « Maos », Grasset, 2006).

...Il est assez courant de penser que les ex-maoïstes français (fervents adulateurs naguères de la plus sanglante dictature du vingtième siècle) ont aujourd’hui « changé d’idée », qu’ils ont « retourné leur veste » qu’il sont en quelque sorte passés du Col Mao au Rotary, comme l’écrivait non sans talent le regretté Guy Hocquengheim. Mis à part qu’on peut fort bien se rendre au Rotary ou au Ritz en costume Mao ( taillé pour l’occasion chez Cardin), comme Jean-Edern Hallier naguère, il me semble que les maos d’antan, admirateurs du Grand Timonier, et les ex-maos d’aujourd’hui, contempteurs du même, n’ont guere changé d’avis. Serait-ce excès de machiavelisme que de supposer que s’attaquer à present à la Chine devenue une grande puissance assimilable à l’ « axe du mal » tel que le définissent les néoconservateurs américains, ou la louanger béatement hier, dans les années 60/70, quand la politique de Nixon/Kissinger cherchait en elle un appui pour faire pression sur l’URSS et le Vietnam du nord en guerre, constituent les deux faces d’une même politique : à quelques années de distance ? Serait-ce excès de machiavelisme encore que de supposer que ce même scenario, qui s’est joué sur la scène internationale, ait pu se jouer aussi sur differentes scènes nationales, européennes entre autres, non plus cette fois contre l’URSS, mais contre les partis communistes locaux, particulièrement les plus puissants d’entre eux : le Français et l’Italien. Et contre le régime gaulliste par ailleurs, qui avait avec le parti communiste les complicités que l’on sait. De Gaulle n’était-il pas l’homme à abattre : ce « Gaullefinger », comme l’appelaient les américains, qui avait remis en cause jusqu’à la veille de mai 68 « le privilège exorbitant du dollar » et le deficit extérieur des USA , prônant le retour à l’étalon or ! Une des « têtes pensantes » maolâtres de ces années, Alain Geismar, ne disait-il pas que pour aller « de la résistance à la révolution » la marche serait longue et qu’il faudrait balayer cette « union nauséabonde » du PCF et des gaullistes. Ainsi, sous un charabia révolutionnaire (nourri de toutes les acrobaties mentales de la fausse conscience) tenait-il le même discours que l’atlantiste Jean-Jacques Servan-Shreiber qui , lui-même, corrélativement , ne tarissait pas d’éloges sur les gauchistes et le president Mao : « Mao ... a capté lui... l’espoir fou de cette jeunesse » écrit-il dans sa préface à l’édition de poche du Défi américain. Régis Debray, qui a parfois des formules percutantes, comparait ces maos à Christophe Colomb qui, cherchant la Chine, finit par découvrir l’Amérique au bout du voyage. La haine à l’égard du gaullisme ( aux yeux de Glucksmann, July, Geismar, Benny Levy, la France de Pompidou était un régime fasciste et le ministre de l’intérieur Marcellin l’émule de Heydrich) n’avait d’égal, pour les maos, que leur haine à l’égard de la CGT et du P « C »F (le parti « dit » communiste français), c’est a dire les « revisionnistes ». Parce que le public d’aujourd’hui, mal informé par les medias où pullulent d’anciens maos rangés des voitures, aura du mal à comprendre que ce que les maos reprochaient à l’URSS et aux partis communistes européens, c’était , depuis Khroutchev, d’être des réformistes, de ne plus vouloir « faire la révolution », d’avoir, en quelque sorte... trahi Staline ! Ce pourquoi le portrait de Staline figure dans le sigle de ces organisations, à côté de celui de Lénine et Mao (sans compter parfois Enver Hodja ou Kim Il-Sung). En quelque sorte, au Goulag ils preferaient son equivalent chinois, plus exotique sans doute : le Lao-Gaï. Peut-on penser que ce ne soit pas de façon toute interessée que la très officielle revue américaine Foreign Affairs fasse écho à ces délires maophiles. En octobre 72, juste après la rencontre Mao/Nixon on peut y lire cette perle : « La revolution maoïste est globalement la meilleure chose qui ait pu arriver au peuple chinois depuis des siècles ». Alors, l’énormité de cette campagne de propagande maolâtre qui, en occident et spécialement en France, pénétra tous les médias, ceux de la gauche caviar comme ceux de droite, sous la plume d’Alain Peyrefitte entre autres, aurait-elle été quelque part sollicitée, ou facilitée ou du moins... acccompagnée ? Rien qui ne vole si haut que le crétinisme à qui on donne des ailes... On peut mal imaginer aujourd’hui en effet la véritable terreur que firent regner dans le monde des lettres et des medias les Sollers, les Jacques Henric, les Guyotat, les Godard, au nom du Grand Timonier. Même des gens plus subtils, comme Barthes ou Foucault attrapèrent le virus. Rappelons nous Sollers en 1975, à Apostrophes, justifiant devant des millions de télespectateurs les camps de concentration en Chine au nom de la « liberté collective » qu’il opposait à « la liberté individualiste bourgeoise »... Toute la branchétude de l’époque en était. Peinture, cinéma, critique, philosophie, théâtre... Rappelons -nous Barthes s’extasiant en Chine « devant « les calligraphies de Mao, reproduites à toutes les échelles (qui) signent l’espace chinois ( un hall d’usine, un parc, un pont) d’un grand jeté lyrique, élégant, herbeux : art admirable présent partout »...

La pensée française sombrait dans le ridicule. Il y avait beaucoup d’inconscience de la part de la plupart de ces acteurs. Mais la guerre froide ne s’est elle pas aussi très consciemment revêtue des Habits neufs du président Mao ? A cet égard, ce livre de Simon leys (étouffé par la presse d’alors) tombait mal : en 1971, juste avant la visite de Nixon en Chine. Le même Simon leys, à qui je fis part de mes suppositions sur cette manipulation possible, m’a écrit que je « subtilisais » trop... Il n’en demeure pas moins que les informations commencent à affluer sur les jeux des services secrets occidentaux, et particulièrement américains, dans ce domaine. Les mémoires récents d’un responsable des services hollandais, Frits Hoekstra, évoquent la création ex-nihilo, dans son pays, d’un groupe mao, par ses services et la CIA, en vue de destabiliser le parti communiste local et de pénétrer les autres groupes gauchistes. Tracts et journaux révolutionnaires étant imprimés... à la préfecture de police. On n’est jamais si bien servi que par soi-même ! Voir aussi le livre de l’ex-mao Frederic Laurent, L’orchestre noir, sur les liens entre extrème droite, extreme gauche et services divers dans le terrorisme italien. Etc. etc. Après avoir chanté la gloire de Mao, nombre de nos maos d’aujourd’hui, comme s’il avaient fini, après une longue cure psychanalytique, par identifier leur vrai désir, chantent les louanges du « tout marché », de la dérégulation, des délocalisations, de la mondialisation sauvage, du gouvernement Bush, de ses soutiens neoconservateurs, et des jeunes GI’s , si mal aimés des Français et du Quai d’Orsay, qui s’en vont en Irak « mourir pour la démocratie ». « Ceux qui ont tout cru pensent tout croyable », disait le regreté Guy Debord. Mao a eu ses « imbéciles utiles ». Bush a les siens. Ce sont souvent les mêmes.

Vive Mao