Morgan Sportès

Nouvel Observateur

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Maos, Nouvel ObsUn roman de Morgan Sportès

Chinoiseries Entre complots paranoïaques et langue de bois réjouissante, Morgan Sportès fait revivre le maoïsme français

Trente ans après la mort de Mao, Morgan Sportès souffle les bougies d’un des plus curieux épisodes historiques de la bêtise française. Amateurs de bilans émotifs à la « Tigre en papier » d’Olivier Rolin, s’abstenir. Avec « Maos » de Sportès, on est plus proche de « papy fait de la lutte armée » que du roman de cape et d’épée nostalgique. Une charge hénaurme, à la mesure de « l’idiotie vraiment délirante » qu’un Debord pointa, très tôt et très isolé, chez les maoïstes de la Gauche prolétarienne. Un renégat, tel est le héros de « Maos ». De son passé d’activisme ne reste à « Gisors », blaze tiré de « la Condition humaine », que le « blouson de cuir néo-bolchevique » avec lequel il part bosser le matin dans une boîte d’édition « gauche-chochotte ». A part ça, l’ex-chef clandestin d’Avant-garde rouge roucoule coupablement avec la merveilleuse Sylvie. Quand ils s’entre-dévorent la nuit, fenêtres ouvertes sur les toits de Paris, il lui arrive de glisser le « mot maudit qu’il avait juré de ne jamais prononcer, mot niais sans doute, expression de roman de gare, poncif des sous-littératures humanisto-bourgeoises : « je t’aime » ». C’est dire s’il a trahi.

Le voici cependant rattrapé par d’ex-camarades de jeu, spécimens redoutables de la race des brutes vieillies dans les souvenirs de militance. Reconstituée, sa cellule lui ordonne de descendre le bistrotier espagnol qui abattit un « camarade » à la sortie des usines Renault. Après « Kill Bill », « Kill Ramirez ». Simple cauchemar ou retour du refoulé terroriste ? L’ex-mao se met au bourbon-Tranxène et croise de vieux gaullo-communistes qui lui repeignent les soixante-huitards en marionnettes d’une CIA acharnée à pulvériser l’indocile Général, en « tirailleurs sénégalais » du capitalisme mondialisé. Mais attention, chez Sportès, les maophiles entre-temps reconvertis au « Figaro » et ailleurs en derviches tourneurs de la dénonciation des « crimes-du-communisme » sont aussi amochés que les autres. Cela ne l’empêche pas toutefois de frôler à certaines pages l’antigauchisme survolté d’un Ivan Rioufol qui aurait de l’humour. Notamment dans ces charrettes d’une kolossale finesse où l’auteur jette pêle-mêle un Alain Geismar et un Gilles Deleuze, un Jacques Henric et un Michel Foucault, non réductible, loin s’en faut, à son empathie révolutionnariste pour les barbus iraniens. La virtuosité bouffonnante de l’auteur lui permet cependant d’éviter le pire, même lorsqu’il jongle avec tous les clichés de l’anti-« pensée 68 ». Mention spéciale pour le personnage de Tropinambourg, un des sous-Derrida ici soupçonnés d’être rémunérés par les universités américaines pour saper à jamais le prestige intellectuel de la France. A la suite d’Hocquenghem, Sportès produit un monstre générationnel. Une hydre à cent têtes qui aurait la mèche de Malraux, la chapka de Glucksmann, l’air pénétré de Benny Lévy, les déboires de July. Le seul vrai compliment à faire à l’auteur reste toutefois un grand éclat de rire. « Maos », par Morgan Sportès, Grasset, 410 p., 19,50 euros.

Né en 1947 à Alger,Morgan Sportès est l’auteur d’une quinzaine de romans, parmi lesquels « Siam » (Seuil, 1982) et « l’Insensé » (Grasset, 2002).

Par Aude Lancelin Nouvel Observateur - 21/09/2006

Un roman de Morgan Sportès

Chinoiseries Entre complots paranoïaques et langue de bois réjouissante, Morgan Sportès fait revivre le maoïsme français

Trente ans après la mort de Mao, Morgan Sportès souffle les bougies d’un des plus curieux épisodes historiques de la bêtise française. Amateurs de bilans émotifs à la « Tigre en papier » d’Olivier Rolin, s’abstenir. Avec « Maos » de Sportès, on est plus proche de « papy fait de la lutte armée » que du roman de cape et d’épée nostalgique. Une charge hénaurme, à la mesure de « l’idiotie vraiment délirante » qu’un Debord pointa, très tôt et très isolé, chez les maoïstes de la Gauche prolétarienne. Un renégat, tel est le héros de « Maos ». De son passé d’activisme ne reste à « Gisors », blaze tiré de « la Condition humaine », que le « blouson de cuir néo-bolchevique » avec lequel il part bosser le matin dans une boîte d’édition « gauche-chochotte ». A part ça, l’ex-chef clandestin d’Avant-garde rouge roucoule coupablement avec la merveilleuse Sylvie. Quand ils s’entre-dévorent la nuit, fenêtres ouvertes sur les toits de Paris, il lui arrive de glisser le « mot maudit qu’il avait juré de ne jamais prononcer, mot niais sans doute, expression de roman de gare, poncif des sous-littératures humanisto-bourgeoises : « je t’aime » ». C’est dire s’il a trahi.

Le voici cependant rattrapé par d’ex-camarades de jeu, spécimens redoutables de la race des brutes vieillies dans les souvenirs de militance. Reconstituée, sa cellule lui ordonne de descendre le bistrotier espagnol qui abattit un « camarade » à la sortie des usines Renault. Après « Kill Bill », « Kill Ramirez ». Simple cauchemar ou retour du refoulé terroriste ? L’ex-mao se met au bourbon-Tranxène et croise de vieux gaullo-communistes qui lui repeignent les soixante-huitards en marionnettes d’une CIA acharnée à pulvériser l’indocile Général, en « tirailleurs sénégalais » du capitalisme mondialisé. Mais attention, chez Sportès, les maophiles entre-temps reconvertis au « Figaro » et ailleurs en derviches tourneurs de la dénonciation des « crimes-du-communisme » sont aussi amochés que les autres. Cela ne l’empêche pas toutefois de frôler à certaines pages l’antigauchisme survolté d’un Ivan Rioufol qui aurait de l’humour. Notamment dans ces charrettes d’une kolossale finesse où l’auteur jette pêle-mêle un Alain Geismar et un Gilles Deleuze, un Jacques Henric et un Michel Foucault, non réductible, loin s’en faut, à son empathie révolutionnariste pour les barbus iraniens. La virtuosité bouffonnante de l’auteur lui permet cependant d’éviter le pire, même lorsqu’il jongle avec tous les clichés de l’anti-« pensée 68 ». Mention spéciale pour le personnage de Tropinambourg, un des sous-Derrida ici soupçonnés d’être rémunérés par les universités américaines pour saper à jamais le prestige intellectuel de la France. A la suite d’Hocquenghem, Sportès produit un monstre générationnel. Une hydre à cent têtes qui aurait la mèche de Malraux, la chapka de Glucksmann, l’air pénétré de Benny Lévy, les déboires de July. Le seul vrai compliment à faire à l’auteur reste toutefois un grand éclat de rire. « Maos », par Morgan Sportès, Grasset, 410 p., 19,50 euros.

Né en 1947 à Alger,Morgan Sportès est l’auteur d’une quinzaine de romans, parmi lesquels « Siam » (Seuil, 1982) et « l’Insensé » (Grasset, 2002).

Par Aude Lancelin Nouvel Observateur - 21/09/2006