Morgan Sportès

TOUT TOUT DE SUITE, interview De M. SPORTES par la Revue GRUPPEN, Hiver 2012, N°4.

GRUPPEN : Interview de Morgan Sportes parue dans la revue GRUPPEN, N°4, Hiver 2012

Revue GRUPPEN n°4, Hiver 2012 : interview de Morgan Sportes ENTREVUE du 18/11/2011 avec Morgan Sportès au bar du Lutétia

G- Vous avez, cette semaine, reçu le prix interallié pour votre ouvrage TOUT, TOUT DE SUITE consacré à l’affaire Ilan Halimi, jeune français de confession juive kidnappé et assassiné en 2006. Cependant, des critiques virulentes se sont élevées contre ce livre. Certaines personnes, à priori, n’ont pas compris le sens de ce travail.

S- Les médias ont été à 95 % favorables. Il est vrai que Pierre Assouline , sur son blog, ce que je n’ai appris que tardivement, a écrit contre moi des choses bizarrement hargneuses. Il me reproche de « torturer la langue française » parce que j’utilise, dans mes dialogues ou au style indirect libre, l’argot des banlieues. Eugène Sue ou Balzac ont-ils fait autre chose ? Faudrait-il que les cailleras s’exprimassent au subjonctif imparfait ? « Il est narvalho ce keum ! ». Assouline me reproche aussi de ne pas faire de « psychologie ». Se croyant amateur de Proust, il n’est à vrai dire qu’un héritier du roman psychologique de Paul Bourget (voir son roman « Les invités », éloquent à cet égard). Laissons-le à ses illusions. Cependant il tape vraiment bas quand (en totale méconnaissance du dossier d’instruction) il affirme que je trouve des « circonstances atténuantes » à l’antisémitisme de Yousouf Fofana, chef du gang dit des barbares. Mon livre reste au plus près des faits. Je n’y ai rien omis, dans les actes et paroles, de ce qui relève de l’antisémitisme. Je dis cependant que les gosses de banlieue ont de bonnes raisons, sociales et politiques, de se révolter. Mais que, par manque de culture, certains d’entre eux se trompent de cible en accusant les juifs de tous leurs maux. . Et je cite la phrase célèbre d’August Bebel : « L’antisémitisme c’est le socialisme des imbéciles ». C’est parce que j’ai présenté l’ensemble des activités de cette bande de voyous, et pas seulement les faits concernant l’enlèvement d’Ilan Halimi, qu’à mon avis j’ai été l’objet de ce genre de critique. Les activités de la bande, au départ, ne relèvent pas, en effet, de l’antisémitisme. Leur première tentative de kidnapping (ratée) vise un « gaulois ». La deuxième (ratée aussi) prend pour cible un lycéen africain, noir et musulman, dont les a parents sont riches. Ce n’est qu’à partir de la troisième cible, qu’ils n’ont plus visé que les juifs. Ilan Halimi, cinquième cible, a été choisi parce qu’il travaillait dans un magasin de téléphonie du boulevard Voltaire qui fermait le samedi, jour du Shabbat. Il était juif, donc il avait de l’argent, tout petit vendeur qu’il fût. A cet égalité, juif=argent, se réduit leur antisémitisme.

G- Par conséquent, le dénominateur commun de tous ces kidnappings est bel et bien l’argent.

S- Oui, il s’agit en réalité d’une chose très primaire : l’argent associé aux juifs. Il n’y a pas de théorie derrière, comme chez les théologiens chrétiens par exemple (« le peuple déicide » etc.). Le véritable problème est la misère intellectuelle de ces jeunes. Je pense que mon livre porte sur la misère intellectuelle contemporaine. La régression vers les archaïsmes raciaux, religieux est un symptôme e cette misère.

G- A ce titre, votre livre n’est pas une critique de la « barbarie » en tant que telle...,

S- Je réfute le mot « barbare », dans le sens où il veut dire « étranger », comme chez les grecs de l’antiquité, je l’ai souvent dit depuis la sortie du livre. Ces jeunes ne sont pas étrangers à notre société. Ils sont nés en France, ils sont français, ils sortent de l’école française, ils sont nourris par la télévision française etc. Dans le sens ou le mot « barbare » signifie cruel, alors je suis d’accord. Car Youssouf Fofana est un dangereux psychopathe, et il a torturé Ilan Halimi de façon atroce. Ilan a été brûlé vif à 80%.

G- Et puis Fofana, dans le lot, semble être le seul qui ait, pour ainsi dire, un penchant idéologique.

S- Et encore... Peut-être ne l’avait-il pas auparavant. C’est, du moins, l’avis de certains membres de la bande, parmi lesquels on trouve celui que je surnomme « le grand black ». Celui-ci s’exclame, lors d’une confrontation devant le juge d’instruction « Moi ce mec (Fofana), je le reconnais plus. Quand on est partis sur cette affaire, c’était pour l’argent, c’est tout, pas pour des histoires de race ou de religion ! » . C’est surtout par la suite, après son arrestation, lorsque les médias ont commencé à parler de lui, que Fofana s’est campé dans une « posture », jouant les Ben Laden aux petits pieds. Et en rajoutant sur ses convictions antisémites. J’en parle dans le dernier paragraphe de mon livre, lorsque je dis qu’ « Il enfile les habits neufs du dernier rôle que « tout » conspire à lui offrir pour un éphémère tour de piste sous projecteurs : terroriste islamiste »

G- Dans les analyses de votre roman, cet aspect-là ne semble pas présent. On ne remarque pas à quel point est vivace dans la tête de Fofana, dans ce qu’il conseille aux geôliers de faire, l’image du Djihadisme colportée par les médias. Un mélange informe où se mêlent Ben Laden et le 11 septembre comme symboles médiatiques. Mais aussi les tortures pratiquées par l’armée américaine dans les prisons irakiennes, et qui ont manifestement influencé tous ces jeunes. Preuve en est, ce moment où ils parlent de sodomiser Ilan avec un balai par exemple. Car cela s’est produit dans la tristement célèbre prison d’Abou Ghraib.

S- Youssouf Fofana est une éponge. Il éponge tous les fantasmes de la politique mondiale. A l’époque, par exemple, il y avait cette affaire des caricatures de Mahomet. Mais aussi les déclarations de Ben Laden, le procès de Saddam Hussein... Tout cela se trouve dans sa tête, un vrai bric-à-brac. Contrairement à ce que vous dîtes, je l’évoque dans mon livre dont je dresse le contexte politique, national et international.. Au demeurant, vous savez, lorsque vous lisez Mein Kampf, ou Le Mythe du XXe siècle de Rosenberg, c’est aussi du bric-à-brac, pas tellement plus élaboré. Les nazis piquent des éléments chez les socialistes, chez les marxistes, chez les soi-disant scientifiques spécialistes des races, et ils cousent ça ensemble. J’ai lu Le Mythe du XXe siècle, c’est un tissu d’âneries. Lorsqu’on met le communisme sur le même plan que le nazisme, il y a un problème...je veux dire qu’il y avait dans le mouvement marxiste de vrais intellectuels, de vrais penseurs. On ne peut pas comparer Marx et Engels à Adolf Hitler.

G- Nous sommes vraiment, pour reprendre Guy Debord, dans la définition du Spectacle. Nous voyons bien que ces jeunes n’ont aucune culture, et pour seules références les seules images qui les environnent. Leur définition du juif, par exemple, se limite au poncif le plus éculé, celui du juif riche. L’idée même de l’enlèvement est pour le moins cinématographique.

S- Mais ils vivent continûment dans un film, un mauvais film, une série B. Cet aspect des choses est évoqué déjà dans L’Appât. Les héros de l’Appât sont des gosses (de la classe moyenne, eux !) totalement aliénés (à leur sujet Debord m’avait parlé de « crétinisme anti-réel). Leur film phare était Scarface. Le remake. Celui avec Al Pacino. Pas le premier évidemment, l’original ils ne le connaissaient pas. Le problème est que lorsqu’on se lance dans un kidnapping, c’est-à-dire un crime extrêmement complexe, c’est plus difficile à réaliser qu’au cinéma. Il faut avoir quelque chose dans la tête. Fofana et sa bande n’avaient pas les moyens intellectuels nécessaires. Ils n’en avaient même pas les moyens financiers. Ils ne possédaient que quelques milliers d’euros. Ils se sont donc retrouvés rapidement sans le sou. C’est pathétique. Je rapporte tous ces détails dans mon livre. Lorsqu’un des geôliers doit nourrir Ilan par exemple, et lui payer un simple Mc Donald, c’est avec ses propres sous qu’il le fait. Idem lorsqu’après lui avoir donné un coup de cutter (ils veulent prendre de lui une photo en sang qu’ils enverront à la famille), les geôliers se disputent pour savoir lequel d’entre eux paierait le mercurochrome pour désinfecter la plaie. C’est une histoire pathétique, effrayante et pathétique... Pourquoi sommes-nous dans le Spectacle ? Parce qu’on voit qu’ils sont aliénés. Ils sont aliénés par des poncifs. En cela, j’affirme que ce ne sont pas de vrais voyous, mais ce que j’appelle des criminels incompétents. S’ils avaient été des criminels compétents, Ilan Halimi, pour commencer, n’aurait jamais été enlevé. On n’enlève pas un petit vendeur de téléphones. On enlève au moins le baron Empain. De plus, on ne torture pas, et on ne tue pas, sans « raison ». J’ajoute que le fait qu’il était juif a dû aggraver son calvaire. Le père d’Ilan Halimi a déclaré : « Ils étaient trop content d’avoir entre leurs mains un petit juif ».. Auraient-ils fait autant souffrir le jeune lycéen noir musulman s’ils avaient réussi à l’enlever ? L’auraient-ils tué ? Nous ne le savons pas. Nous ne pouvons jurer de rien. Mais j’ai du moins le sentiment que les choses se seraient passées autrement. Quoi qu’il en soit, il est évident qu’il ne s’agit pas d’une affaire de terrorisme islamiste. Pour en revenir au début de notre discussion, je dois dire qu’à un Pierre Assouline près, j’ai eu nombre de bonnes lectures de mon livre. Par Simon Leys entre autres. Je lui envoie toujours mes livres. C’est une personne que j’admire beaucoup. C’est le première qui ait déconstruit les absurdités de la révolution culturelle au temps où Glucksmann and Co s’écriaient « Vive Mao ! Vive Mao ! ». Leys m’a écrit, au sujet de TOUT,TOUT DE SUITE : « Lecture terrifiante : existe-t-il encore une culture européenne ? ». De la part d’un homme qui a vu la destruction de la culture chinoise pendant la Révolution Culturelle, c’est inquiétant. Et effectivement, je suis très inquiet. Car si j’ai écrit un livre comme celui-ci - ce que n’ont pas compris beaucoup de gens - c’est aussi parce que j’aime Proust, et Poussin, et Lully. Je ne suis pas fasciné par les « cailleras ». Mais je vois bien qu’il y a là des symptômes de ce mouvement du monde qui est en train de détruire tout ce qu’il y a de plus beau en Occident. Au fond c’est ce que constate Simon Leys.

G- Le mouvement de la marchandise humaine...

S- Nous sommes dans l’extension, la généralisation à tous les secteurs de l’économie, à tous les secteurs de l’intelligence, de la forme marchande. C’est ce qu’avait compris Marx il y a déjà fort longtemps. Il y a, plus récemment, un livre très intéressant qui vient d’être publié : Crédit à Mort, d’Anselm Jappe. Jappe qui, par ailleurs, a aussi écrit sur Debord

G- Et qui nous fera l’honneur d’être présent dans notre prochain numéro.

S- J’ai une lettre de Guy Debord me disant qu’Anselm Jappe est le seul à avoir véritablement compris ce qu’il disait. C’est une tête bien faite. Pour en revenir à la marchandise, ce n’est pas un hasard si le Bunny lapin de Jeff Koons a été exposé au palais de Versailles. C’est pour moi un symbole. On est parvenu à faire une marchandise __ d’un prix faramineux !__ avec rien. C’est le génie de la marchandise. Cette marchandise, qui, sur un autre plan, a totalement détruit le tiers-monde. J’ai assisté en partie à ce processus en vivant dans quelques-uns de ces pays. Les petits paysans, dans les pays qui n’étaient pas trop pauvres, avaient tout de même une vie. En Asie du sud-est, en Thaîlande, par exemple, que je connais bien, ils avaient une vie relativement équilibrée, et assez belle. Et ces paysans sont en voie de destruction : exode rural etc. Ce sont des secteurs de l’économie, qui, il y a peu de temps, n’étaient pas encore complètement asservi au capitalisme. Les ¾ de l’économie des petits paysans relevaient de l’autosubsistance : ils vendaient une partie de leur riz au marché, et le reste était pour eux. Mais ils s’endettent aujourd’hui peu à peu, s’appauvrissent : la fille va au bordel, le fils à l’usine. Tant qu’ils sont propriétaires de leurs terres, ils parviennent à survivre. Dès qu’ils commencent à s’endetter et hypothéquer leurs terres, ils sont perdus. Ce qui est intéressant, c’est que tout ceci nous ramène précisément à mon livre. Le père de Fofana n’était même pas un paysan. Il était ouvrier agricole, dans le nord de la Côte-d’Ivoire. Donc, c’est déjà un paysan ruiné. L’ouvrier agricole est ce qu’il y a de pire dans le prolétariat. Et plutôt que d’aller vers les bidonvilles comme le font tous ces gens-là - il faudrait étudier l’économie de la Côte-d’Ivoire, je ne la connais pas très bien, mais nous savons parfaitement que nous leur avons imposé des monocultures, que nous avons démoli les productions d’autosubsistance, et que par conséquent ces gens sont drainés vers les bidonvilles - au lieu, donc, d’aller dans un bidonville, le père de Fofana est parti tout seul à l’aventure, en 1973, avec sa petite valise, laissant sa femme et ses enfants en Côte-d’Ivoire, pour venir à Paris. A l’époque de Monsieur Pompidou. Lorsqu’on ouvrait grandes les portes aux travailleurs immigrés. Ce qui était alors une politique volontariste.

G- Par générosité évidemment...

S- Oui, bien sûr... Alors qu’au Japon ils choisissaient d’automatiser l’industrie, nous, en France - chez Renault par exemple (j’ai très bien étudié le cas Renault pour écrire mon livre Ils ont tué Pierre Overney- nous, donc, avons ouvert largement la porte au travail immigré pour faire pression...

G- ... sur les salaires...

S- ...à la baisse sur les salaires, oui. Le père de Youssouf Fofana fait donc partie de ce mouvement-là. Il est venu en France, s’est trouvé un petit boulot, s’est bien tenu tranquille puisqu’il n’était pas français. Il a conservé quarante ans le même boulot sans broncher. Il a fait venir sa femme et quelques-uns de ses enfants. Youssouf Fofana , lui, est né à Paris, dans le 12eme. Il était donc français. Il en a voulu aussi tout de suite plus que son père. Son père, il le méprisait. Il disait « moi, j’en ai marre de voir ma mère torcher les chiottes ». Il a donc eu un réflexe de révolte immédiat. Lorsqu’il était enfant, il voulait devenir baveux (avocat), protecteur de la veuve et de l’orphelin. Le problème c’est qu’ils vivaient à sept dans un deux pièces... Pour faire de bonnes études, ce n’est pas l’idéal. Fofana se met à faire des conneries, se bagarrer, il insulte les profs, etc. Ses études sont catastrophiques, il finit aussi par choisir la « carrière » de bandit. Il fait tout de suite preuve d’une violence inouïe. Et là, cela relève de la psychiatrie. Je n’explique pas le crime seulement par des causes sociologiques. Je ne suis pas gauchiste. J’ai un petit côté Dostoïevski. Il y a, selon moi, quelque chose d’intrinsèque à la psychè d’une personne pour qu’elle en arrive à tuer. Fofana est un malade mental. Mais, au demeurant, on ne peut faire abstraction du contexte sociologique dans lequel il baigne. Il s’est donc lancé dans le banditisme dès quinze ans. Il commence à voler. Mais à 17 ans, il est déjà d’une violence exceptionnelle. Quand il vole un scooter, la victime se retrouve en sang... Il ne se contente pas seulement de voler le scooter. J’ai pu voir quantité de procès -verbaux montrant que les victimes étaient si terrifiées qu’elles refusaient de participer à la confrontation devant le juge. Parfois, il se fait poursuivre par les policiers, les asperge à l’extincteur (bombe lacrymogène)... Il gaze la police... C’est pathétique. Lors d’une course poursuite, il perd une de ses godasses ... Il y a un côté Charlot chez lui. Tous ces gosses faisaient leurs coups à Bagneux ou non loin. Ils habitaient Bagneux mais n’en attaquaient pas moins le magasin ATTAC de Bagneux. L’un des agresseurs tire sur l’appariteur : boom ! Trois balles dans le ventre... Nous savons que c’est Fofana qui avait volé la voiture utilisée pour ce hold-up raté, mais nous ne sommes pas certains qu’il ait réellement participé au coup. Au demeurant, cela fait partie de sa légende, il est devenu la légende de Bagneux. Il est devenu Billy the Kid. Tous les gosses l’admiraient. Cela lui a coûté trois ans de prison. N’ayant aucune culture de base, c’est en prison qu’il redécouvre l’islam. Dernière auberge... Pour en revenir à ce qu’on disait auparavant sur le tiers-monde : si le père de Youssouf Fofana avait vécu dans une économie à peu près décente en Côte-d’Ivoire, il serait resté là-bas. Fofana y serait né... Fofana se sentait des liens affectifs avec la Côte-d’Ivoire, c’était « son pays ». Il s’agit donc bien ici d’une forme d’aliénation. Il est intéressant de noter que pour tous ces maoïstes que je ridiculise dans Ils ont tué Pierre Overney, à l’époque, dans les années 60/70, ces gosses-là, ces petits voyous, et bien ils étaient pour eux le « fer de lance de la révolution ». C’était le lumpen-prolétariat ! . Même pour Michel Foucault : souvenez-vous de ses fameux dialogues avec Benny Lévy, dans Les Temps Modernes ... C’était du délire. D’ailleurs, il y avait déjà un Fofana chez les maoïstes. Ses camarades maos l’avaient accusé d’être un indicateur de police. Et ils l’ont jugé. Ils l’ont mené au fond d’une champignonnière. Ils lui ont fait croire qu’ils allaient le tuer. Quelque chose d’atroce...

G- C’étaient des maoïstes de la GP, la gauche prolétarienne ?...

S- Oui. Plusieurs responsables de ce groupe ont fini par écrire dans la revue Le Meilleur des Mondes , une revue néo-con, ultra bushiste... Ce que je veux dire, c’est qu’à l’époque, ils envoyaient les Fofanas au casse-pipe. C’étaient leurs « tirailleurs sénégalais ». Pierre Overney, c’était pareil. C’était un petit voyou, un petit ouvrier. Ils l’envoyaient au front, et eux, bien à l’abri, à l’arrière, ramassaient les plus-values. Il est dont assez intéressant de relever le fait que tous ces gens-là, qui avaient à l’époque mythifié le lumpenprolétariat, lui crachent aujourd’hui dessus. En ce qui me concerne, je ne le mythifie, ni ne lui crache dessus. Je constate, c’est tout. Et je réaffirme, que si ces jeunes voyous sont des barbares, par leur cruauté, ils sont nos barbares, car ce ne sont pas des étrangers, quelle que soit la couleur de leur peau.

G- Il est tout aussi intéressant de remarquer, qu’en définitive, c’est la propre famille de Youssouf Fofana, en Côte-d’Ivoire, qui le dénonce. Il semble qu’eux seuls aient fait preuve d’une éthique non-communautariste dans cette histoire.

S- De bon sens. Et dire que certains ont voulu transformer cette affaire en une guerre islamo-judéo-chrétienne. Ce sont effectivement des parents de Youssouf Fofana qui l’ont fait arrêter en Côte-d’Ivoire. Et j’ai dû m’abaisser à rappeler cela devant les gens de l’Education Nationale lorsque j’ai participé au Goncourt des lycéens. J’ai d’autre part discuté avec des lycéens. Ce qui est effrayant, c’est que ces gosses réagissent par rapport à leur ethnies ou à leur religion : en tant que juifs, en tant que musulmans, ou en tant que noirs. Un lycéen d’origine turque est venu me voir pour me dire : « vous présentez de façon négative les musulmans ». Je lui ai répondu : « Mais non ! Fofana n’est pas un musulman. C’est un fou. Et d’ailleurs, c’est sa propre famille qui l’a fait arrêter. » Ils sont manichéens. C’est cela la pensée du spectacle. Moi j’appelle ça la pensée essuie-glaces. Si tu n’es pas pour Staline, tu es pour Hitler ; si tu n’es pas pour Hitler, tu es pour Staline. Ou bien : si tu n’es pas pour Dieudonné, tu es pour Bernard-Henri Lévy ; et si tu n’es pas pour Bernard-Henri Lévy, tu es pour Dieudonné. Je pense que la littérature est faite pour montrer la complexité du monde. C’est ce que fait Dostoïevski.

G- Certaines analyses erronées concernent aussi le style de votre texte, sa forme. Il est pourtant important de relever la variété de « styles » qui se trouve dans votre ouvrage, et le fait, comme vous l’avez déjà dit, que votre but n’était pas tant de vouloir trouver une voie qui vous soit personnelle par le biais seulement de la forme ou des trouvailles stylistiques, que de faire reposer votre style sur le fond, c’est-à-dire les idées que vous défendez. Votre style apparaît donc dans cette capacité d’adaptation par rapport au sujet que vous voulez traiter. Ce qui heurte le lecteur à l’entame de votre ouvrage est que l’on a un peu de mal, pendant cinquante pages, à entrer dans un texte froid, qui énonce une série d’horaires et de lieux. Nous sommes baladés à travers Paris, le tout dans un enchainement très rapide. Mais il apparaît clairement ensuite, que c’est précisément le fait que l’on ne puisse pas se sentir confortablement installé dans une forme qui nous pousse à être totalement disponible pour l’essentiel, c’est-à-dire le récit des évènements. Si bien que l’on en vient presque à véritablement entrer dans la peau des personnages. En somme, votre style, c’est l’efficacité. La recherche de l’efficacité maximale.

S- J’ai choisi une écriture hyperréaliste. A l’image d’un peintre hyperréaliste qui copie une photo puis appuie sur certains détails. C’est un style pavlovien aussi. Une description pavlovienne des personnages. Il n’est pas question pour moi de faire de la « psychologie » (ce que me reproche Paul Bourget/Pierre Assouline). Je ne peux pas interpréter ces gens-là. Comment prétendre les analyser, les comprendre ? Je les fais parler, agir... Edgar Morin a dit à propos de mon livre : « Il ne juge pas, il montre »

G- La psychologie se trouve là justement.

S- Elle est dans leurs gestes, leur comportement.

G- Nous parlions tout à l’heure de misère intellectuelle : nous comprenons bien, en vous lisant, dans quelle situation d’indigence affective se trouvent tous ces jeunes.

S- J’ajoute que le fait d’évoquer des évènements aussi pénibles requiert une forme d’éthique. Car il existe un lien entre morale et esthétique. Mon livre de chevet, lorsque j’écrivais TOUT, TOUT DE SUITE, c’était le Primo Lévi de Si c’est un homme, ou le Robert Anthelme de L’Espèce Humaine. On ne fait pas de phrases quand on parle de choses aussi atroces. On ne verse pas dans le lyrisme. Mon récit est assez factuel. Cela en est d’autant plus atroce, je crois.

G- Oui, car nous sommes sidérés de réaliser qu’un phénomène aussi tragique ait des origines aussi insignifiantes ; de constater à quel point tout ceci n’est qu’une succession d’improvisations ratées, minables.

S- C’est la banalité du mal. Ce qu’il y a de surprenant, et qui apparaît dans mon bouquin, mais nullement dans ce qu’en ont dit les médias et la police - il y a deux jours, une émission, Faites entrer l’accusé, a présenté la version policière de l’affaire, et un policier dit au début que les « barbares » étaient des génies de l’informatique, un gang hyper-organisé - ce qui est surprenant, donc, c’est que l’on a affaire à une vingtaine de pieds nickelés, et que personne ne s’en est vraiment rendu compte. Si quelqu’un avait compris cela, au moment des faits, peut-être aurait-on pu sauver Ilan Halimi. C’est trop facile, évidemment, de juger, a posteriori. Mais peut-être aurait-on dû accepter de payer une petite part de la rançon. Fofana voulait qu’elle soit versée, par petites tranches, via Western union, à Abidjan. On aurait pu essayer de coincer un des complices lors de la réception du transfert. Mais la police a refusé catégoriquement qu’on paie

G- C’est ce que les parents reprochent aujourd’hui à la police.

S- Violemment, oui. Le père, et la mère.

G- Ils n’ont pas compris qu’il y avait une forte probabilité que Youssouf Fofana se trouve dans une logique psychotique, et qu’il ait donc avec l’autorité les rapports que l’on sait. Raccrocher le téléphone au nez de quelqu’un, cela marche avec des gens qui sont dans une logique économique de professionnels. Mais face à un demi-fou... Un autre point important de votre livre nous semble être la question de la disparition de l’ordre symbolique, et donc du Père, au sens psychanalytique. Disparition dont Youssouf Fofana est bien la victime.

S- Oui, c’est évident. Pour Fofana, c’est énorme. Et pour les autres aussi. C’est très important. La plupart sont des gosses sans « père » (réel ou symbolique).

G- Un thème récurant dans l’ensemble de votre œuvre - nous pensons notamment à votre livre intitulé L’Aveu de toi à moi - et que l’on retrouve dans la majeure partie de vos travaux - qu’il s’agisse de l’extrême droite dans L’Aveu de toi à moi et Tonkinoise, ou bien de l’extrême gauche maoïste dans Ils ont tué Pierre Overney - un thème récurant apparaît donc, à savoir la critique que vous faites de l’idéologie politique, de l’idéologie au sens où la traitent Marx ou Debord, autrement dit l’idéologie politique comme illusion.

S- Bien sûr.

G- D’où vous est venue l’envie de prendre ce problème comme objet d’étude.

S- De mon enfance, je pense, dans un premier temps. Je suis né en Algérie. Je suis né en 1947 à Alger, puis j’ai quitté l’Algérie après l’indépendance en 1963. A ce moment-là j’ai eu affaire aux passions politiques, à la haine, au racisme, au fanatisme, aux manifestations qui se finissaient dans le sang, au terrorisme, à l’assassinat des gens au faciès. Car dans les dernières années, l’OAS, à Alger, tuait les arabes au faciès. L’OAS avait interdit l’entrée d’Alger aux arabes. Et toutes les personnes arborant un faciès d’arabe étaient assassinées. J’ai donc assisté à certains de ces assassinats. Et je dois dire que lorsque j’étais petit j’avais adopté tous les poncifs d’un petit enfant de colons. J’étais donc raciste, et considérais les arabes comme moins que rien. Mais d’un autre côté ceci n’est pas totalement vrai, parce qu’un enfant est moins bête qu’un adulte pour ces choses-là. Il a un sens moral. Lorsque j’ai vu une femme arabe être assassinée sous mes yeux - et je la vois toujours en sang sur le trottoir - il y a eu quelque chose en moi qui a bougé... Ce n’était plus une arabe... Elle était devenue un être humain qui saigne. A ce moment-là, donc, il y eut malgré moi, dans ma petite tête de gamin, des tremblements éthiques. Si l’on ajoute à cela le fait que j’étais moitié juif par mon père, et que ma mère était bretonne antisémite, vous comprenez que tout cela ait fini par créer chez des fissures. J’y ai gagné aussi un fort sens de l’humour. C’est la raison pour laquelle lorsque je me suis retrouvé étudiant à Paris en 1968, et que j’ai vu des gens construire des barricades, je me suis dit : « mais ils sont fous, il va y avoir trois mille morts dans dix minutes ». Je n’avais pas compris qu’il se jouait alors une tout autre partie de poker qu’en Algérie, et qu’il n’était pas question, en Mai 68, de tuer. Donc, en effet, cette enfance paradoxale m’a procuré un certain sens de la distanciation, du recul. L’un des grands moments historiques que j’ai vécu fut la décolonisation. Je n’ai pas vécu la seconde guerre mondiale, mais la décolonisation. Vous, c’est la fin du communisme.

G- Il est donc nécessaire pour vous d’analyser de manière chirurgicale ces phénomènes dits barbares.

S- Oui.

G- N’avez-vous jamais été tenté d’aller jusqu’à l’essai théorique pour traiter ces problèmes ? Ou préférez-vous simplement la forme romancée ?

S- Je ne suis pas un philosophe, un théoricien. Je suis un artiste, au fond. Enfin, c’est un peu prétentieux de dire cela. Ce que je veux dire, c’est que ma sensibilité est plutôt artistique. J’agis d’avantage avec des images, des récits, des métaphores, qu’avec des concepts. Mais je pense que le travail romanesque va peut-être souvent plus loin que les concepts. Un écrivain tel que Proust me semble aller très loin dans l’analyse. Voyage au bout de la nuit aussi. Il y a une forme de pensée qui traverse l’art. Car au fond, si je m’étais placé en tant que sociologue pour expliquer l’affaire Halimi- j’ai lu des tas de bouquins de sociologie sur les banlieues, je trouve qu’ils sont très pauvres - je pense que cela aurait été moins pertinent. Tandis que là, je « balance » des faits, je les mets en scène, et tout d’un coup le lecteur s’interroge. On peut donc ensuite chercher les concepts. C’est pour cette raison que j’ai préféré mettre des citations de gens comme Théodore Adorno, Jaime Semprun etc. en tête de chaque chapitre, car cela donne au lecteur une vague idée de ce que l’auteur a voulu dire. Sans que ce dernier , pour autant, n’ait à exposer sa grosse batterie de concepts.

G- Vous indiquez les sources de chacune de vos informations. En cela vos romans procèdent d’un vrai travail de recherche. Un travail que l’on pourrait comparer à ceux des théoriciens en philosophie sociale ou en anthropologie. Votre livre sur le maoïsme, notamment, prouve que vous avez au moins autant lu, si ce n’est plus, que les historiens censés avoir travaillé la question.

S- Effectivement, je me suis énormément documenté pour écrire Maos et Ils ont tué pierre Overney, jusqu’à m’en rendre malade. Lorsque j’ai lu dans son intégralité La Cause du peuple , j’ai failli avoir un ulcère à l’estomac. Sans parler de la prose des Glucksmann , Serge July etc.. C’est masochiste. Un masochisme flaubertien pourrait-on dire. Je suis allé à la BNF et me suis coltiné tous les films de l’époque. Toute la période des films gauchistes de Godard. Les films de Marin Karmitz - celui-là même qui soutien Sarkozy aujourd’hui - Coup pour coup. Ce film s’achève par cette phrase : « la grève fait tache d’huile, demain elle fera tache de sang »... Quand je me lance dans un sujet, j’y vais à fond, je travaille dur. Quand j’ai préparé mon livre sur le Siam au XVIIe siècle , j’ai lu des milliers de pages de manuscrit, écrits à la plume d’oie...

G- Le pire danger d’une œuvre prétendument artistique - nous parlions tout à l’heure de Jeff Koons - ne se place-t-il pas au-delà de son caractère apparemment inoffensif quant à l’aspect critique que l’on attend de toute œuvre d’art. Force est de constater, dans un second temps, que ce caractère inoffensif devient en réalité offensif si l’on songe au fait qu’il sert, en les passant sous silence, les travers les plus abjects de notre société marchande. Réclamez-vous encore aujourd’hui cette œuvre d’art militante ?

S- Jeff Koons, c’est de la marchandise à l’état pur, puisqu’il n’y a rien. Ils ont réussi à donner de la valeur à rien. Une casserole, au moins, il y a du travail dedans, du temps, et elle possède une valeur d’usage. Ce qui est intéressant, avec Jeff Koons, c’est qu’on peut y voir une création de valeur à l’état pur, purement spéculative. Nous sommes dans la quintessence de la finance. Le plus amusant est de constater que ce type d’ « artistes » ont repris toute l’œuvre de DADA et l’ont retournée pour en faire quelque chose d’insignifiant. C’est ça qui est effrayant. C’est ce que disaient les situationnistes il y a déjà longtemps. J’ai assisté à une vente de Jean-Pierre Raynaud chez Christie’s. J’y suis précisément allé pour voir ce que c’était. Il y avait au moins six-cent pots de fleurs ; tous les mêmes. Les gens levaient les doigts à chaque pot de fleurs : « oui, deux mille euros », « trois mille »... Tout à coup, un fonctionnaire de la culture intervient, brandissant son droit de préemption : « non, ce pot de fleurs c’est nous qui l’achetons pour sept mille euros »... Il paraît que certains de ces « artistes » achèteraient eux-mêmes leurs propres œuvres pour en faire monter les cours. On est donc là dans la pure illusion marchande, premier chapitre du Capital. Ça, c’est intéressant. Et c’est ce que l’on propose comme culture aux gosses de banlieue ?... Elle est là la caricature.

G- Pour en revenir au problème de l’idéologie politique, il est fascinant de constater, en lisant notamment L’Aveu de toi à moi, et la description que vous y faites de la politique, le nombre d’imbéciles plus ou moins doués de bon sentiments qui s’avèrent être totalement manipulés, par des salauds finalement. On retrouve ce constat dans votre roman Maos, à travers la question maoïste.

S- Oui. Il est clair que de nombreux mouvements gauchistes ont été complètement manipulés. En Italie, jusqu’au terrorisme. La Gauche Prolétarienne a assurément été pénétrée par la police. J’ai rencontré ce genre de policiers. Je cite l’un d’entre eux dans Ils ont tué Pierre Overney : Jacques Harstrich. Il était le commissaire des Renseignements Généraux chargé de noyauter en France la Gauche Prolétarienne. Il est mort aujourd’hui. Quand mon livre a paru il était déjà mort. C’est son fils qui m’a écrit pour me remercier....

G- Vous êtes l’un des seuls à avoir insisté sur ce moment décisif pour l’économie et la politique mondiale. Ce passage qui fait suite à l’évènement 68, et que représentent les années 70 et le début des années 80, lorsqu’apparaît le néolibéralisme...

S- C’est la fin de la Guerre froide...

G- Oui, toute cette période des années 70, du terrorisme d’Etat. Mais aussi celle des structuralistes, d’une idéologie critiquant la subjectivité, le texte, et derrière laquelle se cache le totalitarisme, Mao, etc. Vous démontrer justement le lien qui existe entre les deux : cette idée que l’on ne peut penser le néolibéralisme dans lequel nous vivons, c’est-à-dire la domination mondiale de la marchandise, si l’on oublie cette jonction qui coïncide avec la fin de la guerre froide. Vous êtes l’un des rares écrivains à l’avoir décrite.

S- Effectivement, il n’y a pas eu seulement une Guerre froide au niveau politique, au niveau des syndicats. Il y a aussi eu une guerre froide culturelle, ce que j’ignorais avant de lire notamment ce livre extraordinaire de Frances Stonor Saunders, Qui mène la danse ? La CIA et la guerre froide culturelle. Je le cite dans la bibliographie de Ils ont tué Pierre Overney. Ce livre nous apprend que de l’argent était injecté par les américains dans tous les champs culturels. Dans la peinture, la littérature, la musique, etc. Qu’ils avaient par exemple créé des revues, comme la revue Preuves en France, ou la revue Encounter en Angleterre. Et cette politique a touché le monde entier, jusqu’au Japon. Il y a donc eu une véritable guerre froide culturelle. Et au fond, ce que l’on peut dire, c’est que ces gens-là, inconsciemment, les Glucksmann et autres maos, ont fait partie de cette guerre froide. Pour ce qui est de la principale cible en France de cette guerre, il est clair que c’était le Parti Communiste et la CGT. Et la chose était tout aussi claire aux yeux des membres de la CGT. J’ai rencontré des anciens de la CGT de Renault Billancourt, la chose était pour eux évidente. Je raconte tout cela dans Ils ont tué Pierre Overney. Il n’y avait qu’une vingtaine de maoïstes aux usines Renault, mais ils faisaient ce qu’ils voulaient. Le service d’ordre n’a rien fait contre eux. On les a laissés semer la zizanie alors que Renault était une entreprise nationale, que son patron Pierre Dreyfus était un patron de gauche favorable aux entreprises nationales. Un bon patron au demeurant, qui a internationalisé Renault... L’entreprise fonctionnait correctement. Seulement, une bonne part de l’encadrement de Renault était contre ce patron, un patron qui avait de bons liens avec la CGT. Les maoïstes étaient donc du pain béni pour les ennemis de Dreyfus qui les ont utilisés pour mettre la pagaille. En définitive, ce sont les membres de la CGT qui les ont pris par la culotte et ont fini par les jeter hors de l’usine.

G- Le plus ahurissant est que cette instrumentalisation, dont les maoïstes de l’époque n’ont pas compris la dimension idéologique, soit devenue par la suite le fond culturel qui en a aidé plus d’un à se reconvertir durant les années 80.

S- Alors vive la crise ! Souvenez-vous de l’émission « Vive la crise », c’était à mourir de rire... Sous couvert de Guerre froide contre le totalitarisme soviétique, on a jeté le bébé avec l’eau du bain ; on a jeté toute forme de pensée critique. Cela nous donne ensuite un individu tel que Glucksmann, une caricature. Lisez ou relisez La Cuisinière et le mangeur d’homme. Il faut lire ça en se mettant dans la peau d’un anthropologue, ou d’un historien. C’est à mourir de rire de bêtise. Et pourtant ce livre a été lancé par les médias, Michel Foucault, le Nouvel Observateur, etc. Songez que ce livre place au même niveau Pierre Dreyfus, patron de Renault, responsable selon Glucksmann de la mort de Pierre Overney, et l’Union Soviétique, avec ses camps de concentration où les gens meurent de froid, etc. Nous voyons bien qu’il y a là une manipulation de la part des médias qui ont boosté pour ainsi dire la carrière de cet homme et lui ont ouvert toutes leurs portes. Inviter à l’émission Apostrophes un nain intellectuel tel que Glucksmann ne peut être qu’un acte politique. Mais tout cela est fini aujourd’hui. La guerre froide étant du passé, c’est gens-là sont aujourd’hui jetables. Ils ont été utiles pour y mettre fin, mais désormais la question sociale se pose de façon accrue. Et ils n’ont plus rien à dire à ce sujet.

G- Nous sommes pourtant à la veille de la crise la plus importante que l’on ait vécue depuis 1929.

S- Exactement. C’est la raison pour laquelle j’ai écrit sur l’affaire Youssouf Fofana. Car si l’on a ainsi médiatisé cette affaire, c’est une fois de plus dans le but de faire peur aux gens. Pour leur dire : « voici l’ennemi ; voici le danger ». Mais Youssouf Fofana n’est pas LE danger. Il est dangereux pour le malheureux gamin qui va tomber entre ses pattes et qu’il va tuer. Mais il n’est pas dangereux sur le plan politique. Au contraire. Il sert d’instrument de répulsion pour effrayer les gens. C’est ce qui apparaît très clairement dans le dernier paragraphe de mon livre, lorsque j’écris que l’habit de terroriste islamiste est le seul habit qu’on lui ait laissé. Et lui, par bêtise, l’a enfilé.