Morgan Sportès

TOUT TOUT DE SUITE, par Etiernne Ruhaud, DIERESE 56 (printemps 2012)

08/06/2013 CRITIQUE : "TOUT, TOUT DE SUITE" de Morgan Sportès (note initialement parue dans "Diérèse" 56, printemps 2012)

Tout, tout de suite, Morgan Sportès, Fayard, 2011

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Les faits, tout le monde les connaît, ou presque. Le 21 janvier 2006, Ilan Halimi, jeune israélite vendeur de téléphones, est kidnappé par le « gang des barbares », bande de petits malfrats sans envergure dirigés par un certain Youssef Fofana, un délinquant originaire de Bagneux. La victime ne sera retrouvée que trois semaines après l’enlèvement, agonisant au bord d’une voie ferrée près de Sainte-Geneviève-des-Bois, dans les Yvelines. Partiellement brûlé, le corps d’Ilan porte la trace de nombreux sévices. Arrêté à Abidjan, Fofana, vingt-six ans, évoquera à la fois des motivations crapuleuses et raciales, antisémites. Tous ses complices seront rapidement arrêtés, et lourdement condamnés. Journaliste et auteur, Morgan Sportès est revenu sur l’affaire cinq ans après, décrivant de façon précise les différentes étapes du drame, depuis les premières tentatives d’enlèvement avortées en passant par le « recrutement » d’un appât féminin, jusqu’aux multiples tentatives d’extorsion. Rebaptisé Yacef, Fofana apparaît tel qu’en lui-même : à la fois cruel, manipulateur, affabulateur se croyant investi d’une mission politique et prophétique, mégalomaniaque. Les autres protagonistes de la tragédie (gardiens, tortionnaires, simples témoins, parents du jeune homme supplicié...), sont également campés avec beaucoup de vérité. Impeccablement documenté, l’auteur construit là une parfaite reconstitution, située en plein cœur des banlieues d’Île-de-France, déshumanisées et déshumanisantes. Le résultat est saisissant : un tableau à la fois exact et dur de notre époque, la face cachée d’une période marquée par d’importantes tensions communautaires et sociales, une misère économique et intellectuelle croissantes. Incisif et efficace, le style de Sportès reste au service de l’intrigue, au sens où chaque élément est minutieusement dépeint, avec un grand souci du détail. L’écrivain cite également des textes de rap en exergue de chaque chapitre, et le langage des cités est soigneusement retranscrit : La « bête de meuf » entreà nouveau en scène : Zelda, cette lycéenne d’origine iraniennequ’on avait utilisée dix mois auparavant pour tenter d’appâterRaymond, à Bagneux. Elle avait 16 ans alors. Elle en a 17 aujourd’hui, mardi 17 janvier 2006. Il fait gris, froid, elle arpente, avec sescuissardes blanches, le trottoir à la sortie du RER Denfert-Rochereau (p.139). Troublant et lucide, ce nouveau roman de M. Sportès reste sans doute l’un des plus intéressants de la rentrée littéraire 2011.

08:26 Écrit par Etienne Ruhaud dans Critique, Sportès, Morgan | Lien permanent | Commentaires