Morgan Sportès

TOUT TOUT DE SUITE par Laruellebleue

La Ruelle bleue | Un livre doit être la hache qui fend la mer gelée en nous - Kafka

Tout, tout de suite, Morgan Sportès (Fayard)

Entre documentaire et fiction, Morgan Sportès revient sur un fait de société dont la férocité traumatisante a défrayé la chronique il y a quelques années. Car dans cette mémorable tragédie contemporaine, dont la dernière et principale victime a été séquestrée, torturée et sauvagement assassinée, se concentrent la bêtise, l’inconscience, l’absurdité, la haine intolérante de quelques individus mais aussi la mollesse, l’indignité, l’indifférence et l’iniquité insupportable de notre société qui a nourrit en son sein non pas des citoyens, mais des « barbares ».

Morgan Sportès n’a pas choisi au hasard de retracer le parcours de Youssouf Fofana et de sa terrible bande de Bagneux composée de filles et de garçons en perte d’identité qui surnagent dans leur misère quotidienne. Gamins désenchantés, certains végètent dans leur cité, hargneusement fatalistes, mais d’autres moins défaitistes se montrent combatifs et opiniâtres pour gagner la place dont ils ont été déboutés. Avant cet ignominieux dérapage, cette glissade molle et passive dans l’abject, cet enchaînement apathique et inexorable de lâchetés et d’ignorance, ce n’étaient encore que de très jeunes gens, impliqués tout au plus dans des actes délictueux mais certainement pas criminels.

Comment cette petite bande de banlieue s’est-elle transformée en quelques semaines en ce que les médias ont appelé « le gang des Barbares » ? Comment ces filles et ces garçons, impliqués au premier chef, ont-ils dérivés vers l’horreur ? Comment les autres, ceux qui gravitaient autour mais qui étaient « socialement intégrés », responsables, comment sont-ils devenus complices par omission, par mensonge, comment sont-ils de venus coupables par inaction et par faiblesse ?

Le mécanisme a été implacable. Effrayant. Il aurait suffit qu’une personne parle, qu’une seule personne réagisse, qu’une unique personne sur l’ensemble des nombreux acteurs ou témoins transforme ses doutes et réticences en rébellion et opposition pour que le calvaire d’Ilan Halimi prenne fin. Mais plus glaçant encore est le fossé qui sépare le « gang », ou plutôt les égarés, ceux qu’on a perdus en route, du reste de la société. Il n’y a plus rien en commun : ni valeurs, ni langage, ni espoir. Il n’y a plus de pont entre ces deux univers et aucun moyen de communiquer. Le chef du gang est en roue libre dans un monde incohérent qui n’est pas accessible, pas intelligible. Les services de police ne l’ont pas compris et ont appliqué à cet enlèvement avec demande de rançon des procédures semblent-ils complètement inadaptées.

Tout cela a aboutit à la fin tragique que l’on connaît. Mais au-delà de cette mort atroce restent les interrogations et les réflexions sur nous et notre façon de vivre, notre conception d’une vie commune et nos facultés d’adaptation et de tolérance.

Yacef, qui « mélange tout », foi, politique, finance, participe comme le dit la formule célèbre, de ce « socialisme des imbéciles : l ‘antisémitisme ». Le « Juif », incarnant à ses yeux le Capital, devient le symbole du monde qui l’oppresse. C’est qu’il n’a pas les instruments intellectuels qui lui permettraient de comprendre ce qui, dans le monde spectaculaire qui est le nôtre, l’opprime en effet