Morgan Sportès

TOUT TOUT DE SUITE par Le blog d’Yspaddaden

Tout, tout de suite - Morgan Sportès La littérature s’empare parfois des faits divers et les limites entre fiction et réalité deviennent floues. On se souvient du presque excellent roman d’Emmanuel Carrère, L’adversaire, tellement incroyable que s’il avait été pure invention, on aurait taxé son auteur d’invraisemblance.

Morgan Sportès a déjà pratiqué ce genre dans L’appât, et il revient ici avec un compte-rendu romanesque de l’affaire Halimi qui se déroula à l’hiver 2006 : un jeune Juif de vint-trois ans a été enlevé, séquestré et torturé pendant trois semaines par un groupe d’une vingtaine de jeunes de banlieue, baptisé le Gang des Barbares, avant d’être mutilé, brûlé vif et de décéder des suites de ses blessures avant d’arriver à l’hôpital. « Fait divers » est un terme aussi impropre que « compte-rendu » car il suggère un drame vite oublié, un cas entre mille servi au journal télévisé entre rillettes et salsifis. Ce meurtre n’est pas un fait divers, mais le symptôme d’une société malade. Au compte-rendu administratif, l’auteur préfère le terme de roman-enquête, qui mêle en effet les deux aspects de ce texte, qui laisse cependant peu de place à l’imagination, mais beaucoup à la réflexion. Il y a chez Morgan Sportès une volonté de comprendre et de faire comprendre, basée sur un travail de recherche qu’on imagine très important.

J’ai lu il y a quelques temps Est-ce ainsi que les femmes meurent de Didier Decoin, roman basé lui aussi sur un fait divers, dont la forme ne m’a pas convaincue. Morgan Sportès est bien plus habile car il n’attribue pas à ses personnages des sentiments ou une psychologie. Il ne se met dans la peau d’aucun et relate froidement les faits, sans pour autant aboutir à un rapport de police ou un texte journalistique. La construction d’abord installe une intrigue dont le lecteur connait l’issue dès le départ. Les polars les plus difficiles à mener sont ceux où le lecteur connait le coupable dès le début (c’est le procédé Columbo) : il faut que l’auteur retienne son attention par d’autres biais. Ici, Morgan Sportès suit ses protagonistes bien avant l’enlèvement du jeune Elie, il rapporte les antécédents délictueux des jeunes impliqués pour expliquer comment ils en sont arrivés là. Ce qu’il ne peut expliquer sans tomber dans le psychologisant, il ne l’explique pas : l’acharnement sur Elie, les tortures qu’il a subies, il n’y a rien pour les comprendre.

Le roman peut de ce fait sembler froid, il m’a paru à moi réaliste, loin du misérabilisme sur la banlieue ou de l’indignation vertueuse. Pas de condamnation de l’École ou des parents, ces derniers apparaissant surtout comme démunis.

Un des fils rouges qui relie tous ces jeunes, c’est l’ignorance due à des parcours scolaires chaotiques. Aucun de ces délinquants, le plus souvent Français issus de l’immigration, n’a su s’intégrer au système scolaire français. Et parce que l’avenir passe ici par la réussite scolaire, dans un domaine ou un autre, il n’y a pas d’horizon pour eux, pas même l’espoir de « faire carrière » dans le banditisme qui leur permettrait d’obtenir ce qu’ils veulent : tout, tout de suite. Ce qui apparaît très clairement c’est que Yacef, le cerveau de cette bande de jeunes, a du mal à s’exprimer, est incapable de rédiger une lettre de rançon et avise au jour le jour plutôt qu’il ne gère. Plus d’essence, plus de crédit de téléphone... l’organisation est celle d’un amateur, d’un caïd aux petits pieds qui voudrait se faire craindre, faire peur à la société qu’il déteste et qui le méprise. Si son crime et les tortures auxquelles il s’est livré ne faisaient pas de lui un être méprisable, il serait pathétique.

Les parents de ces jeunes ravisseurs sont démunis. La France dont ils ont rêvé a fait de leurs enfants des délinquants incontrôlables qui n’ont peur de rien car ils n’ont rien à perdre.

Autre sujet (qui fâche) abordé moins frontalement, c’est l’Islam, dans ce qu’il a de pire bien sûr. Plusieurs membres du gang, non musulmans de naissance, se sont convertis à l’Islam, parce qu’ils y ont trouvé, déclarent-ils, une religion ouverte et tolérante. Plus certainement parce que c’était la religion des potes. Ceci dit, ils torturent leur prisonnier sans oublier de prier cinq fois par jour. Certains se sont montrés plus humains que d’autres (c’est du moins ce qu’ils affirment dans leurs déclarations postérieures à la police, au juge ou à l’auteur), mais sans jamais oser dénoncer le chef ou leurs complices. C’est la solidarité avant tout, parce qu’ils sont tous dans la même galère et parce qu’ils ont tous peur des représailles. Cependant, il apparaît que le jeune Elie n’a pas été choisi parce qu’il était de religion juif mais parce que pour Yacef, juif veut dire riche et qu’une grosse rançon sera donc payée. Un amalgame facile qui alimente sa haine du monde et se développe dans son cerveau malade.

Morgan Sportès pose les faits et soulève ainsi des questions sociales importantes auxquelles il n’apporte pas de réponse (il n’est ni sociologue, ni philosophe). C’est au lecteur de s’interroger, faits en main. Même si on connait la violence de la banlieue, c’est un livre dont la violence surprend car elle a un nom, une histoire, des visages.

Tout, tout de suite

Morgan Sportès Fayard, 2011 978-2-213-63434-0 - 378 pages - 20,90