Morgan Sportès

TOUT TOUT DE SUITE par Chroniques littéraires de la rentrée.com 28/8/2011

Tout,tout de suite de Morgan Sportès

Posted by Abeline on 28 août 2011 in Romans Français · 3 Comments

Ils n’étaient pas des étrangers, pas plus que des ennemis de l’intérieur. Ils n’étaient que des pieds nickelés asservis par un chef lui-même produit de l’aliénation d’un système capitaliste à bout de souffle. Et pourtant, ils ont kidnappé, torturé puis tué un homme, lui reprochant son appartenance à une communauté qu’ils percevaient comme intégrée, là où eux, ne sont que dans le rejet. Ils sont devenus des symboles, des outils d’analyse sociétale, des instruments politiques, servant ainsi un propos de peur, de repli et masquant le véritable coupable, cette crise du système capitaliste que l’on sent poindre tous les jours sans la nommer et surtout sans solution nouvelle pour la combattre. Cette crise, Morgan Sportès lui donne le nom d’indigence intellectuelle et culturelle.Eux, ce sont les protagonistes de la « non fiction novel « de ce dernier, Tout, tout de suite. Eux, c’est l’interprétation des faits qui ont été jugés d’avril à juillet 2009, par un romancier, lors du procès dit « du gang des barbares ».

Familier du roman-enquête puisqu’il est l’auteur de L’appât que Tavernier réalisa, Morgan Sportès s’est plongé jusqu’à étouffer sous l’horreur de la bêtise dans les archives, témoignages et minutes du procès du dit « gang des barbares ». Bien sur, ce n’est que sa vision, le nom des protagonistes est modifié et leur propos et pensée ne leur sont que prêtés. Mais l’on ne prête qu’aux riches, et tous ces jeunes gens, certes issus de l’immigration, sont surtout les enfants d’une télé qui rend leur cerveau disponible au vide culturel auquel ils sont soumis. Que l’horreur provienne de l’absurdité n’est pas une découverte, la psychologie du bourreau est suffisamment objet d’étude d’Hannah Arendt à Jonathan Littel. Mais, ce que Morgan Sportès met en lumière avec brio, ce sont les relations entre l’acculturation, la massification des valeurs capitalistes mondialisées dans le discours de ces jeunes, qui font la différence entre le bien et le mal, mais n’appliquent cette échelle de valeur qu’à leurs proches et non à tous. Morgan Sportès remonte à leurs premiers méfaits, si peu construits et pensés, comme pour expliquer l’escalade. Il montre les négociations ridicules des montants des larcins, passant de 30 000 euros à 5000 en un clin d’œil, par simple volonté de ne pas perdre la face et d’avoir l impression de palper du billet. Puis vient l’enlèvement. Les responsabilités de tous semblent dilués dans la bêtise de groupe. Les parents aussi coupables que les enfants, de ne pas vouloir savoir ce qu’il se passe vraiment. Les enfants, qui se croient dans un film et qui tentent de se protéger et parfois de protéger l’otage au détriment de la logique. Morgan Sportès décortique les mots et expressions utilisés par tous, en sémiologue. Le chef du groupe parle de changement « de stratégie de communication » lorsque les policiers refusent la négociation, mais c’est aussi lui qui termine une lettre de menaces par « bonne nuit, bisous ». Rien n’est cohérent et pourtant tout tient. La peur habite ce roman, et l’on se prend même à avoir pitié des parents plongés dans le regret de n’avoir jamais négocier comme la police le leur recommandait. Un presqu’enfant est mort tué par des enfants sauvages. Morgan Sportès nous livre une photographie si ce n’est exacte au moins porteuse de sens de ce meurtre, et nous tend l’appareil pour que nous nous photographions à notre tour, nous interrogeant : qu’avons-nous tous laisser faire ?

Chronique rédigée par Abeline

Tout, tout de suite, Morgan Sportès, Fayard , ISBN 978 2 213 63434 0, 380p