Morgan Sportès

SPORTES CHEZ LES TUEURS par Marc Lambron, Le Point 11/8/2011

Le Point - Publié le 11/08/2011 à 11:18

L’auteur de L’appât infiltre le gang des barbares dans Tout, tout de suite.


Il y a vingt ans, Morgan Sportès signait L’appât, une novélisation de l’affaire Valérie Subra, qui devint un film de Bertrand Tavernier couronné par l’ours d’or à Berlin. En 2011, c’est le "gang des barbares" qui est au centre d’un livre dont le titre est tiré d’une chanson du rappeur Booba, Tout, tout de suite.

Sportès a changé les noms des protagonistes. Pour le reste, c’est une enquête serrée, à la Truman Capote, qui suit les faits avec une minutie d’archiviste-paléographe. Où sommes-nous ? Entre Bagneux et Sceaux, avec de la caillera à capuche, au milieu de barres HLM. On croise des SDF amis de la bouteille, des habitués des Restos du coeur. On touche le RMI et on travaille au noir : "Essence siphonnée dans les réservoirs, pièces détachées de voitures désossées, cigarettes en contrebande, shit." Casquettes Nike, jeans baggy et blousons. Le monde se divise entre renois (Noirs), rebeus (Arabes), jambon-beurre (Blancs). Selon un "machiavélisme tortueux et lourdaud", Fofana, rebaptisé Yacef, ourdit ses plans. Le jeune délinquant, 21 ans en 2001, a déjà passé trente mois à la maison d’arrêt de Nanterre. En bon musulman, il ne boit pas d’alcool. De 2002 à 2006, il tente en vain des opérations de racket contre des commerçants, des études de notaire, des personnalités comme Rony Brauman ou Jean-François Bizot. Après l’enlèvement raté d’un jeune Sénégalais aisé, les plans obéissent à une maxime obsessionnelle : "Les feujs, ça a de la thune. Ils se tiennent les coudes. Ils forment une communauté soudée." Le QG de Fofana-Yacef ? Un cybercafé jouxtant une sandwicherie. Ses comparses tiennent chacun un rôle : il y a les chauffeurs, les guetteurs, les appâts, les geôliers. Pour le rapt d’Ilan Halimi, rebaptisé ici Élie, c’est une lycéenne d’origine iranienne, 17 ans, qui jouera le rôle de l’appât. Elle a été violée à l’âge de 13 ans et veut se venger des hommes."C’est pas Zelda qui a choisi la victime, c’est Allah", dira Fofana/Yacef à son procès...

Pendant trois semaines, l’otage, nu, est menotté et a les yeux et la bouche scotchés. La mise en scène concoctée pour contacter la famille rappelle les photos d’otages prises par les terroristes islamistes. La rançon demandée est de 450 000 euros, dont la modeste famille du séquestré ne dispose pas. "L’intention de tuer m’est venue à partir du moment où les policiers ont coupé toute relation avec moi", dira Fofana à son procès. C’est lui seul qui procède au meurtre d’Ilan, dans une forêt, à coups de couteau et de brûlures.

Le livre est passionnant, froidement terrifiant. Le mot "barbare" entend signifier que ces criminels sont étrangers à notre société. Sportès suggère au contraire qu’ils en sont le pur produit, vecteurs de préjugés archaïques cyberrecyclés. Tout procède ici par mails, SMS, appels de téléphone portable : c’est un e-enlèvement. Sportès cite Guy Debord : "L’étranger entoure partout l’homme devenu étranger à son monde. Le barbare n’est plus au bout de la terre, il est là."

Par Marc Lambron Réduire le texteGrossir le texte "Tout, tout de suite", de Morgan Sportès (Fayard, 378 p., 20,90 E).