Morgan Sportès

Une lettre intéressante au sujet d’ILS ONT TUE PIERRE OVERNEY, par P-U Barranque,septembre 2010

Bonjour Morgan Sportès,

Je suis un jeune professeur de philo’ et je viens de lire pour la seconde fois Ils ont tué Pierre Overney. Je tiens à vous remercier pour ce livre très important pour un intello de ma génération.

En effet, comme vous l’avez suggéré dans votre interview pour Rue 89, ma génération souffre du manque de transmission de savoir historique entre votre génération et la mienne. Entre deux générations, normalement, il peut y avoir du mépris ou de l’incompréhension. Pourtant, le fils commence toujours son travail avec les outils de son père. Or on ne peut que remarquer la coupure, à ma connaissance inédite dans l’Histoire, dans la transmission de l’expérience accumulée tout au long de ces 50 dernières années. Je suis un philosophe de 27 ans, spécialisé dans la philosophie sociale et la philosophie de l’Histoire, et ma génération se trouve contraint, tout autant que vous-même, à faire un travail archéologique sans précédent pour comprendre ce qui s’est réellement passé en 68 par exemple, ou pendant la guerre d’Algérie ; alors même que mes parents avaient 7 ans en 68, et que je devrais plutôt étudier les conditions historiques de ma propre naissance, et non pas les conditions historiques de la naissance de la génération de mes parents. Mais comment comprendre les années 80, 90 et 2000 à partir de tels mensonges sur les années 60 et 70 ? L’omniprésence d’une interprétation mythifiée des années 60 est pour beaucoup dans la difficulté de compréhension de notre époque.

Les ex-mao staliniens auront gardés quelque chose du stalinisme par-delà leurs multiples renégations : comme à l’époque du Tsar Rouge, l’avant-garde marxiste-léniniste qui avait 20 ans en 68 passe son temps à réécrire son propre passé ; leur énergie étant d’autant plus démultipliée par le fait qu’ils arrivent bientôt à l’âge de la retraite. Ils réécrivent leur adolescence comme d’autres décident de leurs épitaphes avant de trépasser.

Mai 68 structure encore l’inconscient politique, et la solitude de ma génération est totale. Ce confinement historique dans laquelle elle a été reléguée n’a pas été sans conséquence dans les évènements politiques qui nous ont occupés : par exemple lors de la lutte anti-CPE ou pendant les émeutes de banlieue. Et nous nous retrouvons à faire le travail critique qu’aurait du être fait depuis trente ans. A toute chose malheur est bon, cela nous force à faire le bilan intellectuel de gens comme Debord ou Lévi-Strauss, afin de rattraper le temps perdu. C’est toujours plus agréable à lire que Glucksmann, dont le bilan intellectuel sera vite fait.

Je vous remercie en tout cas pour un tel travail.

Amitiés,

Pierre-Ulysse Barranque

— Envoi via le site Morgan Sportès (http://www.morgansportes.net/) —