Morgan Sportès

MAOS par le site ALYTERATURI 10/9/2010

MORGAN SPORTES. 1.

A L Y T E R A T U R I

SIMPLES CARTONS D’INVITATIONS A DE TROUBLES LECTURES

MAOS. MORGAN SPORTES.

403 p. Juin 2006. GRASSET.

Un livre dérangeant. D’ailleurs on en a peu parlé depuis sa sortie. Faut dire que la quatrième de couverture n’est guère encourageante. L’on nous a déjà tellement fait le coup de l’ex-militant, l’ex-terroriste, qui se range des voitures et qui est malgré lui repris par son passé que le bouquin a bien failli rester sur le présentoir. Heureusement que le titre est une référence explicite au groupe politique d’extrême gauche le plus radical qui soit né en France après le printemps de mai 68.

Faut croire que trente années après l’auto-dissolution du groupuscule le couvercle d’acier trempé qui s’était refermé sur l’épopée commence à rouiller et à laisser échapper quelques vapeurs méphitiques ! Pas besoin de savoir lire entre les lignes pour comprendre que certains ont quelques comptes à régler avec leur passé... et leurs camarades... Il semblerait que le Tigre de Papier publié voici deux ans par Dominique Rollin ait poussé un miaulement qui ne soit pas du goût de tout le monde. L’on risque d’entendre rugir dans la ménagerie dans les mois qui viennent !

Ne soyez pas arrêtés par la première scène un peu poussive et tellement attendue qu’elle en devient insipide ! En parfait timonier Morgan Sportès redresse la barre et très vite nous emmène en des eaux beaucoup plus houleuses. Boueuses. Bourbeuses. Canonnière sur le fleuve jaune-repenti et croisière sur le fleuve rouge-sang !

L’on a beaucoup loué la sagesse des maoïstes français qui avaient su descendre du train avant que l’Histoire ne devienne sérieuse. La mort du militant Pierre Overney froidement abattu à l’intérieur de l’enceinte des usines Renault a jeté un froid sur l’exaltation révolutionnaire des cadres dirigeants de l’ex-Gauche Prolétarienne. Grâce à cette prise de conscience in-extremis la France aurait évité les dérives italiennes... L’on peut dire que c’est Billancourt qui a désespéré le gauchisme !

Mais que sont devenus nos amours mortes ! Lorsque l’on pense à un Serge July qui publiait Vers la Guerre Civile en 1969 pour finir par livrer à Rothschild les clefs du quotidien Libération, il y a de quoi se poser quelques questions. L’on connaît les réponses toutes prêtes de la psychologie bourgeoise : c’est ainsi que les hommes trahissent, il faut bien vivre, devant les nécessités, l’argent corrompt, l’on ne refera pas la nature humaine, et j’en passe, et j’en oublie.

Mais Morgan Sportès n’est pas auteur à se contenter de ces truismes saugrenus. Il n’y va pas de sa petite explication, il nous livre une analyse. Serrée, embêtante, angoissante même, quand on y réfléchit. Car elle pose le problème des limites de la liberté et de l’authenticité. Humaine serait-on tenté d’ajouter, mais ça sonnerait faux. Comme du Sartre.

La thèse de Morgan Sportès est facile à résumer. Les maoïstes ont été manipulés, du début à la fin. Reste à savoir par qui ? Facile, soutiendra le lecteur ! Par le Pouvoir, les Renseignements Généraux, les Services Secrets, par la Droite, pour le dire en un mot comme en deux. Si vous pensez que la police ne savait ni les noms, ni les adresses, du petit millier de lanceurs de coktails molotov, ou d’aficinados de la barre de fer, vous vous trompez. Tous fichés, tous repérés, tous cernés, tous approchés... Du militant de base à la direction de l’Orga, le filet était tendu prêt à se refermer. C’est ce que conseillait le Petit Livre Rouge : le révolutionnaire doit être dans les nasses comme un poisson dans l’eau. Quel jeu de mot à la masse !

Entre les indics qui avaient infiltré jusqu’au comité central, et les militants arrêtés et relâchés sans explication dans les heures qui suivaient, fallait être bien naïf pour se croire invincible et intouchable ! Attention, la réalité est toujours plus complexe qu’il n’y paraît. Il est sûr que le gaullisme n’a jamais craché sur une petite provocation. Une voiture qui flambe, un commissariat qui saute, une échauffourée dans un lycée, en temps d’élection, c’est pain béni pour le pouvoir en place. La majorité silencieuse n’aime guère se sentir bousculer. Travail en semaine, tiercé le dimanche. Que les autorités veillent à ne pas déranger les petites habitudes, et l’on votera pour elles.

Vous êtes sur la mauvaise piste. Certes question coups tordus De Gaulle, Foccart, Marcellin, et les autres s’y connaissaient. L’on susurre que les premières barricades de 68 furent érigées par le Service d’Action Gaulliste... C’est ce que ne cessait de répéter le Parti Communiste Français dès les premiers jours de l’insurrection, et durant toutes les années de poudre qui s’en suivirent. La Droite, la Gauche. Qui dira le contraire ! Pour faire bonne mesure ajoutez-y l’Extrême Droite et l’Extrême Gauche. Mais seulement n’oubliez pas la cinquième force. Le Capital. La Trilatérale, comme l’on dira plus tard dans les eighties. Cette portion a-idéologique des techno-structures des grandes firmes multinationales qui dès ces années-là préparaient la mutation du national-capitalisme en mondial-libéralisme. Postés dans les rouages de l’Etat, recrutant des hommes de main dans toutes les officines possibles et inimaginables, capables de se teindre en bleu-atlantique ou en rose-socialo, pervertissant toutes les valeurs, manipulant n’importe quel groupe social ou politique, les détenteurs anonymes du Capital sont partout chez eux.

Nous-mêmes avons développé de telles analyses. Elles ne sont ni neuves, ni novatrices. Mais la plupart de nos concitoyens ont tellement du mal à se défaire des vieux et antiques réflexes pavloviens qu’aujourd’hui encore les deux principaux candidats à l’élection présidentielle, totalement acquis à une vision financiéro-globaliste du monde, endossent volontiers les guenilles démagogiques des appellations contrôlées du siècle passé !

Les maos se sont conduits comme des imbéciles. L’avant-garde du prolétariat s’est faite menée par le bout du nez. L’on pourrait en rire. Incompétences et précipitation sont les deux faiblesses de la jeunesse. Pourquoi ne pas voir aussi le bon côté des choses : la génération 68 s’est laissée manœuvrée de main de maître, mais au moins elle aura vécu ! Quant à la casse psychologique qui a brisé nombre d’individus, autant la passer dans la colonne des pertes et profits. Le président Mao avait prévenu : la Révolution n’est pas un dîner de gala, si vous voulez manger une omelette faut bien sacrifier quelques œufs !

En tant qu’expérience politique révolutionnaire le maoïsme français fut un échec lamentable. Mais qui dit maoïsme parle avant tout de Révolution Culturelle. Ouf ! l’on respire ! Nos maos franchouillards ont été plus que corrects : sinon quelques slogans vengeurs badigeonnés sur de respectables façades institutionnelles ou le long des routes des vacances, le carnage chinois n’a pas eu lieu. L’art bourgeois a survécu : l’on a continué a monter des opéras du dix-neuvième siècle et à se presser aux expositions des expressionnistes. La Bibliothèque Nationale a conservé ses kilomètres de rayonnages, bref tout a continué comme avant. Du moins en apparence.

Il y a deux manières de saborder une culture. La première est simple mais trop brutale : à coups de marteaux, de bulldozers, d’autodafés. Terriblement efficace, elle a le tort d’attirer l’attention et de soulever une unanime réprobation. La deuxième que nous surnommerons termitophilesque, est beaucoup plus discrète, mais ô combien plus destructrice !

Le cœur de la culture occidentale, ce par quoi l’Occident s’est libéré de l’emprise du totalitarisme religieux et de la main-mise de l’Eglise, s’appelle la Littérature. Dans les années soixante-dix, des centaines d’intellectuels menèrent une attaque sans précédent contre les fondements métaphysiques de la Littérature. Au nom de l’Egalité, s’installa la grande robotisation, la grande rabotisation de l’expression littéraire : la langue et le style furent assimilés au fascisme, l’Auteur accusé d’être un tyran en puissance fut mis à mort. Le Livre y perdit son statut d’œuvre vive, il devint un produit comme tous les autres prié de s’adapter aux desiderata du lecteur, du public, du consommateur.

C’est l’aspect le plus jouissif du roman de Morgan Spontès qui a réussi à pasticher les topiques littéraires des années soixante-dix du Livre. En ces temps-là un bouquin n’avait pour seul objet narratif que de raconter qu’il était en train de s’écrire, alors même que cette soi-disant mise en abîme vertigineuse se réduisait à une cynique adaptation manipulatoire de l’écriture de l’Ecrivant aux nécessités commerciales dictées par les besoins du marketing.

Là encore nous applaudissons. Il y a longtemps que dans nos écrits et nos publications nous défendons ces mêmes idées. L’on a tué la Littérature car elle était la seule à pouvoir s’opposer à l’arasement systématique de la culture occidentale nécessaire à l’asservissement généralisé des esprits exigé et opéré par le déploiement du système économique libéral.

Autre détail qui nous rapproche de Morgan Sportès, les marionnettistes, qui dans l’ombre de son récit tirent et tissent les fils de la toile libérale, ont intégré une croix des plus christiques dans leur logo distinctif. Viserions-nous si juste que cela lorsque nous dénonçons la renaissance monothéique d’une idéologie laïco-christophilesque des plus dangereuses !

N’empêche que le roman de Morgan Sportès ne nous agrée point autant qu’il y paraît. Tout d’abord, nous ne partageons pas ses puritaines condamnations morales à l’encontre des procédés de manipulation politique. Certes les maoïstes ont été manipulés, mais cela fait partie de jeu. Souvent le manipulateur se manipule aussi lui-même en manipulant les autres. Question de tactique mais aussi de force. Sur l’échiquier du monde, chacun joue ses propres pièces et aussi celles des autres. Toute stratégie initiale est contrecarrée par des interventions adjacentes. Le tout est de maintenir le cap, et de progresser, en crabe fou, en sa propre direction prédéterminée.

Mais surtout cette évidence : que si critique et si rigoureux qu’il soit le roman de Morgan Sportès est partie intégrante de ce qu’il dénonce. L’ouvrage ne peut que vous décourager et vous démotiver de toute velléité d’engagement radical qui vous traverserait l’esprit. Maos ne condamne pas la Révolution, il démontre l’inanité de sa réalisation. Morgan Sportès ne vous laisse aucun espoir, ne vous ménage aucune alternative. Se révolter contre le libéralisme est un acte sympathique, mais vain et inutile.

A quoi bon se donner tant de mal pour au final dresser un constat d’échec si accablant ! La situation est bloquée et sans issue. Personne ne vous enjoint de passer à l’ennemi avec armes et bagages ! Votre âme choisie sera votre dernière citadelle ! Débrouillez-vous avec ! Entre la soumission et la résignation passive, Maos ne vous laisse même pas une porte de sortie. De secours.

Le pire c’est qu’on ne peut que donner raison à son auteur. A condition que l’on n’aille pas rechercher plus avant que ces deux derniers siècles la raison de se révolter. Car ceux qui, comme nous, procèdent d’une origine plus lointaine, impérieuse et impériumique, participent d’une autre exigence. Nous ne sommes pas en bout de cycle. L’Histoire n’est pas terminée. Le libéralisme économique n’est qu’une forme transitoire de son développement. Nous sommes portés et actés par une autre logique. Le jour où nos légions seront assez fortes nous renverserons la mise. Nous savons exactement ce qu’il nous reste à faire. Pro Imperio, Ad Imperium.

André Murcie