Morgan Sportès

L’AVEU DE TOI A MOI par Philippe Menestret site BOOJUM

De la Résistance à Dachau en passant par la Waffen SS

L’AVEU DE TOI À MOI

Morgan Sportès

Fayard « Roman », décembre 2009, 344 pages 19,90 €

La Seconde guerre mondiale demeure encore et toujours un terrain d’exploration aux ressources inépuisables pour, entre autres, les historiens, les biographes ou encore les romanciers. Il n’y a pas de quoi s’étonner car on y trouve à portée de mains toutes les pépites et toute la boue qui constituent la condition humaine. Cette guerre, et la période qui l’a précédée, ont précipité dans l’Histoire des hommes et des femmes qui n’y étaient pas destinés, des passant ordinaires qui dans la tempête ont été incapables de maintenir le cap et se sont noyés.

Plus poète qu’opportuniste

Rubi, le « héros » de L’Aveu de toi à moi de Morgan Sportès est l’un de ces humains qui n’a pas su choisir entre toutes les occasions que la guerre offre aux ambitieux, peut-être parce qu’il était plus poète qu’opportuniste, peut-être parce qu’il était un anarchiste dont le désir de révolte n’a pas trouvé à s’épanouir dans quelque camp que ce soit. Ce serait une manière de résumer le livre, une manière de pardonner à Rubi, de minimiser ses bassesses et ce que la convention appelle « retournement de veste » parce que le terme trahison serait un peu fort en l’occurrence - mais la guerre exagère toujours.

Une destinée rocambolesque

Rubi est un héros picaresque raté. Sa destinée rocambolesque possède toutes les invraisemblances de celle des personnages de ce genre romanesque. Sauf que Rubi, cette destinée, il l’a vraiment vécue ! De militant du front populaire, il passe aux chantiers de jeunesse de Vichy où on lui donne très vite des responsabilités. Mais, il s’enfuit et rejoint le Maquis. Il n’y reste pas et s’engage dans la Waffen SS de laquelle il déserte. Il est arrêté et envoyé à Dachau. Quelques jours avant la libération des camps, il s’enrôle à nouveau dans la SS (ce qui lui a certainement sauvé la vie), quitte le camp de Dachau et après un périple solitaire à travers l’Allemagne trouve refuge dans une famille allemande dont les hommes sont absents, y vit comme un coq en pâte, épouse la fille de la famille et lui fait un enfant. Il demeure là quelques années, cachant son passé SS, et rentre en France où il est arrêté et envoyé en prison où il côtoiera quelques célèbres enjôlés comme Rebatet ou Maurras.

Le narrateur reconstitue cette vie à partir d’entretiens qu’il juge lui-même trop timides et que Rubi lui avait donnés à la fin des années 60 alors que Sportès était le compagnon de Louise (Louis dans le livre), sa fille. Le narrateur avait abandonné toutes ses notes et lorsqu’il les reprend, Rubi est mort. Il terminera sa vie dans une HLM, avec une ouvrière, vivant chichement. Rubi qui projetait d’écrire le roman de sa vie n’y sera pas parvenu. Il a emporté son mystère avec lui. Un mystère que le narrateur essaye de débusquer avec talent, ne cessant de nous mettre en garde contre les pièges de la fable et du mythe qui nimbent une vie aussi romanesque et dont on ne possède que quelques éclats épars.

On suit avec intérêt toutes les interrogations du narrateur qui nous abandonne aux doutes et aux remises en question - qui sont aussi et avant tout les siennes - que l’évocation d’un tel destin ne peut que susciter chez le lecteur. Il est difficile de s’y retrouver parmi les panoplies du personnage, entre le hâbleur qui se fait entretenir sans lever le petit doigt par la famille bavaroise et celui qui se découvre puceau lors de la visite médicale à Dachau, son sexe n’étant toujours pas décalotté !

« Comment exprimer, sans le trahir, le chaos d’une vie ? » se demande le narrateur. On a envie de lui répondre : « Comme vous le faites ici ! », en nous livrant un livre rempli d’humanité.

Philippe MENESTRET