Morgan Sportès

L’AVEU DE TOI A MOI par Jean-Claude Lebrun, l’Humanité 21/1/2010

Article paru le 21 janvier 2010

La chronique littéraire de Jean-Claude Lebrun Morgan Sportès, écrire l’histoire

La chronique littéraire de Jean-Claude Lebrun

Morgan Sportès, écrire l’histoire

L’Aveu de toi à moi, de Morgan Sportès. Éditions Fayard. 352 pages, 19 euros.

Depuis Maos (2006) et Ils ont tué Pierre Overney (2008), Morgan Sportès s’est attaché aux parcours complexes d’égarés de l’histoire moderne. Il persiste aujourd’hui dans cette voie en ne mettant plus en scène des enfants perdus du marxisme, mais un écrivain, ancien collabo, qui avait fait de ses successives volte-face un principe de vie. Dans le sillage de cette figure aux contradictions multiples, il analyse la mécanique d’une certaine collaboration et porte sur les temps ultérieurs quelques éclairages pas vraiment conventionnels.

Celui qui raconte était, au début des années 1970, rewriter à Police Magazine, une feuille de la presse caniveau. Il avait fait des études de lettres à Paris-VII et n’avait entendu parler que de structuralisme, de déconstruction et de leurs corollaires, la mort du sujet puis celle du roman. À tout cela, il avait préféré la réécriture de comptes rendus de faits divers, dans lesquels le réel, avec ses distorsions, se donnait à reconnaître. À l’université il avait fait la connaissance de Louise, qui l’avait un jour conduit dans les Cévennes où s’était retiré son père, un vieil écrivain nommé Rubi. Celui-ci avait bientôt entrepris de lui faire par le menu l’étonnant récit de sa vie  : il lui faudrait plusieurs années, jusqu’en 1986, pour tout raconter d’un invraisemblable périple aujourd’hui magistralement restitué. Rubi s’était en effet commis dans tous les camps avec une égale ambiguïté. Le Front populaire puis le pétainisme, la Résistance puis la Waffen-SS française, le combat des Algériens pour l’indépendance puis le mouvement de mai 1968. En Allemagne, il était passé devant un tribunal SS et avait été interné à Dachau. En France, condamné à mort au début des années 1950, il avait finalement purgé cinq ans de réclusion à Clairvaux, où il avait fréquenté Rebatet et Maurras. Un itinéraire zigzaguant, commandé seulement par son goût immodéré de la littérature et sa fascination pour les grands mots pleins d’« effervescence » mais détachés de toute réalité. « Rubi a existé, je l’ai connu quand je sortais de l’adolescence », indique Morgan Sportès. On conçoit qu’il en fasse aujourd’hui le personnage central d’un roman, tant celui-ci apparaît en même temps ingénu et pervers, naïf et roué, infantile et plein de ressources. Mais, à travers lui, c’est aussi un certain passé français qui se trouve revisité, celui de ces hommes de lettres bravaches, s’entichant de vocables dont ils affectèrent d’ignorer l’incidence sur les choses. Et, suivant cette dilection, toujours prêts à quelque nouveau revirement. Rubi avait plus tard fréquenté Aragon, s’était brièvement rapproché des communistes, avait accompagné le mouvement de libération algérien, s’était enfin retrouvé dans la phraséologie du gauchisme. Porté et ébloui à ce point par des mots qu’il croyait possible de toujours recommencer l’écriture d’une histoire, quelle qu’elle fût. En conséquence de quoi il s’était imaginé capable d’endosser tous les habits, même les plus infamants, et de jouer tous les rôles. Morgan Sportès, avec la subtilité politique qu’on lui connaît, s’essaie à suivre pas à pas cet être méandreux, à saisir à la fois son exceptionnalité et son attristante banalité.
Il continue ainsi son travail à contre-courant des représentations constituées, des arrangements confortables avec l’histoire. Dans cet espace de recherche que constitue pour lui le roman