Morgan Sportès

L’AVEU DE TOI A MOI par Christophe Henning, LA REVUE LITTERAIRE n° 42, éditions Léo Scheer.

Morgan Sportès, L’Aveu de toi à moi, Fayard, 346 pages, 19,90 euros

par Christophe Henning

Le nouvel héros de Morgan Sportès portait, inscrite à son ceinturon, la devise des SS : « Mon honneur s’appelle fidélité ». Mais son histoire en est l’antithèse. Rubi passe sa vie à fuir, à trahir, à retourner sa veste, comme une course éperdue, suicidaire. Antihéros, donc, mais figure dramatiquement humaine et versatile, faible et arrogante, le personnage de L’Aveu de toi à moi est attachant et horripilant, singulier et pitoyable. L’auteur-narrateur prévient dès les premières pages qu’il est un arrangeur : à ses débuts professionnels, il s’emparait des faits divers pour en faire un drame, une histoire rocambolesque qui alimentait les feuilles de la presse à sensation. Quand il écoute les confidences de Rubi, ne s’exerce-t-il pas à la même transfiguration des choses ? « Ce n’est donc pas un roman qu’ici j’écris (j’en ai composé par ailleurs). J’essaie seulement, en tentant de remettre de l’ordre, ne serait-ce que chronologique, dans ce que je sais de la vie de Rubi, d’y voir plus clair dans la mienne. »

Donc : l’adolescence de Rubi est bousculée par la Seconde Guerre mondiale. À cet âge, on est capable de choisir le mauvais camp... Le sien pourrait se définir comme « résistance nationaliste », si ce pouvait être une catégorie plausible. Aussi passera-t-il d’un camp à l’autre, ardent militant du Front populaire mais aussi pétainiste, résistant, puis engagé dans la SS, avant de trahir, pour être déporté à Dachau, puis réintégrer les unités allemandes, avant de déserter à nouveau et d’être condamné pour collaboration à la Libération... Il faut recomposer le passé, chercher une logique quand il n’y en a pas, accumuler les confidences et se demander ce qui peut être véridique dans les souvenirs décris sans fard. En collectant cette « série d’historiettes éventées, effrayantes il est vrai, vibrante matière mémorielle », comment faire un roman ? De ce parcours erratique, Morgan Sportès tire un récit surprenant, fait d’interrogations, d’ébahissements : « Comment exprimer, sans le trahir, le chaos d’une vie ? » Le narrateur le confesse, il ne comprend rien à cette époque : « Avec Rubi, j’entrais dans la guerre (c’est-à-dire dans le monde de nos pères) par la mauvaise porte, celle des traîtres. » Le personnage incohérent reste profondément mystérieux. Sportès nous le livre à sa manière, distanciée, presque analytique, constamment perplexe : « Rubi croyait au mauvais roman qu’à la manière d’un barde il avait échafaudé à partir d’éléments de sa vie habilement triés (...). Le rétablissement d’une chronologie, factuelle, froidement objective, retourne les mots falsifiés, comme de vieux poissons pourris, en dénonce les leurres, décèle dans l’âme du locuteur d’obscurs verrouillages, d’abyssales forclusions. » Le livre joue de ces facettes mobiles, de ces histoires recomposées, volontairement provocantes. L’effet est curieux, ne transformant pas en bouc émissaire l’homme inconstant, mais l’érigeant finalement en figure effrayante de la banalité. Jeune homme perdu d’une histoire qu’il a traversée et qui l’a broyé, symbole oublié d’une humanité déchue, sacrifiée. Déshonorée. Triste histoire, servie par un récit d’une précision chirurgicale : le mode opératoire de Sportès est implacable, tranchant dans le faux-semblant d’une mémoire trompeuse. La vérité, elle, est sans pitié