Morgan Sportès

Présentation de "Maos" par Morgan Sportès

MORGAN SPORTÈS Maos

« Il fallait bien qu’il y en ait au moins un qui se dévoue, un maso, un casse-cou, un tirailleur sénégalais, un éboueur, pour aller fouiner au milieu de tous ces détritus des années soixante/soixante-dix, vieux journaux, films, revues, livres, tracts, où Sollers, Kristeva, Sartre, Glucksmann, Foucault, Barthes, Guyotat, etc. tressaient des couronnes de laurier au grand timonier Mao Tsé-toung, célébraient la très grande révolution culturelle prolétarienne chinoise, quand ils n’appelaient pas à la destruction de la culture bourgeoise, au guillotinage de ses élites : la tête de Paul Claudel au bout d’une pique ! Ce maso-là, c’est moi. Qu’est-ce qui m’a pris de m’embarquer sur cette maudite galère ? N’y avait-il pas mieux à faire que de rapetasser ces ordures kitsch dignes de la mièvrerie sanglante du discours pétainiste ? Or donc j’ai lu, j’ai lu, comme Bouvard, comme Pécuchet, j’ai causé aussi avec nombre de quinqua-sexagénaires témoins du temps. Pénétrant ces mots, m’en pénétrant, j’eus l’impression peu à peu d’être un épistémologue tournant les pages poussiéreuses d’antiques manuscrits, un archéologue fouinant moins dans la mémoire d’un temps, que dans la mienne propre. Leur bêtise, je le découvrais, était tout autant la mienne. J’avais vingt ans en 1968. Je pensais alors que l’expérience de la guerre d’Algérie, qui nourrit mon enfance, m’avait vacciné contre la séduction des phrases creuses des langues de bois politiques. Je lisais les situs, les ouvrages libertaires des éditions Champ Libre où parurent Les habits neufs du président Mao. Je pensais avoir été immunisé contre Sartre and co, auxquels je vouais un aristocratique mépris. Or, replongeant plus tard mon nez dans leurs oeuvres, je me suis rendu compte avec stupéfaction combien elles m’ avaient secrètement marqué, déterminant dans ma vie sociale et sentimentale des comportements suicidaires... Nul n’échappe à son temps. Au demeurant il existe des degrés de connerie. Dans la guerre idéologique et culturelle impitoyable qui se livrait à l’époque sous le couvert de la détente Est- Ouest, j’eus lieu de me demander à quoi avait pu servir, politiquement, le délire maoïste. Le président Nixon utilisa Mao pour faire pression sur l’Urss et le Vietnam en guerre. Le maoïsme culturel, politique, terroriste, ne fut-il pas de la même façon instrumentalisé en Europe : contre tout ce qui s’opposait à l’atlantisme, particulièrement contre les partis communistes dits révisionnistes et ceux qui cherchèrent avec eux des complicités, gaullistes, démocratie-chrétienne, etc. Dès lors nous entrons dans le monde occulte (et bien réel, même s’il fait les délices des romans de gare) des agents d’influence, des officines de manipulation, des polices parallèles... et des imbéciles utiles. Monde que j’ignorais, qu’on a fort peu étudié en France (toujours très constipée dès qu’il s’agit de laver le linge sale de sa propre histoire) mais que nombre de protagonistes italiens des années de plomb ont commencé à dévoiler. J’apporte aussi mon humble contribution à ce mouvement naissant. Qu’on ne voie pas un hommage même ironique au brechto-godardisme dans le fait que j’articule mon propos sous forme d’un anti-roman. Je me suis contenté de tremper ma plume dans l’encre, certes un peu éventée, de ces temps, déjà si lointains. Sicut nubes... quasi naves... velut umbra. » Morgan